Sonia Olea Ferreras
Cáritas Espagne
En application du Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), une troisième décision a été rendue par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU par rapport à une violation par l’Espagne de l’article 11 du Pacte, notamment de l’article 11.1 : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une coopération internationale librement consentie. », développé dans ses observations générales n° 4 et n° 7.
Vous trouverez ci-dessous quelques remarques de contextualisation afin de réaliser une analyse plus détaillée au cours des prochains jours.
En 2015, l’Espagne n’a pas garanti (E/C.12/55/D/2/2014 ) un accès effectif aux tribunaux afin de protéger le droit au logement convenable et n’a pas respecté les recommandations générales finales, notamment par rapport aux procédures d’expulsion :
(a) assurer l’accès aux recours juridiques aux personnes concernées par des procédures de saisie hypothécaire pour non-remboursement d’emprunt ;
(b) adopter des mesures législatives et/ou administratives appropriées afin de veiller à ce que, dans les procédures de saisie hypothécaire, la notification par voie d’affichage soit strictement limitée aux cas où tous les moyens possibles de remettre une notification à personne ont été utilisés, en garantissant une publicité et un préavis suffisants afin que la personne concernée puisse prendre dûment connaissance du déclenchement de la procédure et comparaître en personne ;
c) adopter des mesures législatives appropriées pour garantir que la procédure de saisie hypothécaire et les règles de procédure établissent des conditions et procédures appropriées à suivre avant qu’il ne soit procédé à la mise aux enchères d’un logement ou à une expulsion, conformément au Pacte et compte tenu de l’observation générale n° 7 du Comité.
Deux ans plus tard, en 2017, une nouvelle décision (E/C.12/61/D/5/2015) a été rendue à la suite de l’expulsion d’une famille locataire à la suite d’une procédure juridique initiée par un propriétaire. Le Comité a estimé que « faute d’arguments raisonnables présentés par l’État partie pour justifier qu’il n’a pas pris toutes les mesures possibles et agi au maximum des ressources disponibles, le fait d’avoir expulsé les auteurs sans que les autorités de l’État partie, y compris les autorités régionales de Madrid, leur aient garanti un autre logement a constitué une violation du droit des intéressés à un logement convenable. » Ce qui représente une violation de l’article 11.1 du Protocole facultatif au PIDESC (en liaison avec les articles 2.1 et 10.1 du même Pacte). Les recommandations générales pour notre État étaient les suivantes :
(a) Adopter les mesures législatives ou administratives qui s’imposent pour que, dans le cadre des procédures judiciaires d’expulsion de locataires, les défendeurs puissent faire opposition ou interjeter appel afin que le juge examine les conséquences de leur expulsion éventuelle et sa compatibilité avec le Pacte.
(b) Prendre les mesures nécessaires pour remédier au manque de cohérence entre les décisions rendues par les tribunaux et les mesures prises par les services sociaux, qui peut conduire à ce qu’une personne expulsée se retrouve sans logement convenable.
c) Prendre les mesures nécessaires pour que les arrêtés d’expulsion frappant des personnes n’ayant pas les moyens de se reloger ne soient mis à exécution qu’après avoir véritablement consulté les intéressés et fait tout ce qui s’imposait en agissant au maximum des ressources disponibles pour que ceux-ci soient relogés, en particulier lorsque l’expulsion concerne des familles, des personnes âgées, des enfants ou d’autres personnes vulnérables.
d) Formuler et de mettre à exécution, en coordination avec les communautés autonomes et en agissant au maximum des mesures disponibles, un plan global et intégré visant à garantir l’exercice du droit à un logement convenable par les personnes à faible revenu, conformément à l’observation générale no 4. Dans ce plan devront être indiquées les ressources et les mesures qui seront mises en œuvre pour garantir le droit au logement de ces personnes, ainsi que les délais correspondants et les critères qui seront utilisés pour déterminer si l’objectif a raisonnablement été atteint.
Une nouvelle fois (en gardant à l’esprit que plus d’une centaine de plaintes de particuliers/familles qui considèrent que leur droit humain au logement convenable a été violé par l’État espagnol sont toujours dans l’attente d’une décision du CESCR), il y a quelques jours, une troisième décision (E/C.12/66/D/37/2018) a été rendue pour violation de l’article 11.1 du Protocole facultatif au PIDESC et, par extension, du droit au logement convenable d’une mère et de ses six enfants, estimant que : « l’expulsion de la famille sans examen de la proportionnalité par les autorités constitue une violation de son droit au logement. En outre, le Comité considère que le refus de la demande de logement social par l’auteur sans tenir compte de sa situation précaire et uniquement parce qu’elle occupait un logement sans titre de propriété constitue, en soi, une violation de son droit au logement convenable. »
Comme dans les cas précédents, en plus de donner des recommandations spécifiques concernant les dénonciateurs, la dernière décision englobe des recommandations générales pour nos politiciens et législateurs par rapport à la mise en œuvre des politiques publiques et législations liées :
(a) Développer un cadre réglementaire qui règlemente les expulsions, obligeant les autorités judiciaires à procéder à une évaluation de la proportionnalité entre l’objectif poursuivi par la mesure et ses conséquences sur les personnes ainsi que la compatibilité de cette mesure avec le Pacte, dans tous les cas, notamment les cas d’occupation sans titre de propriété.
(b) Garantir que les personnes victimes d’expulsion puissent faire appel de la décision pour que les autorités judiciaires examinent la proportionnalité entre l’objectif légitime de la mesure et ses conséquences sur les personnes ainsi que sa compatibilité avec le Pacte, dans tous les cas, notamment les cas d’occupation sans titre de propriété.
(c) Prendre les mesures nécessaires pour permettre à toutes les personnes d’accéder au logement social sur un même pied d’égalité, supprimant ainsi les conditions déraisonnables qui excluent les personnes menacées de sans-abrisme. L’État devrait notamment éliminer l’exclusion automatique des listes de demandes de logement de toutes les personnes occupant un logement par nécessité, sans titre de propriété.
d) Prendre les mesures nécessaires pour que les arrêtés d’expulsion frappant des personnes n’ayant pas les moyens de se reloger ne soient mis à exécution qu’après avoir véritablement consulté les intéressés et que l’État partie a fait tout ce qui s’imposait en agissant au maximum des ressources disponibles pour que ceux-ci soient relogés, en particulier lorsque l’expulsion concerne des familles, des personnes âgées, des enfants ou d’autres personnes vulnérables.
(e) Formuler et de mettre à exécution, en coordination avec les communautés autonomes et en agissant au maximum des mesures disponibles, un plan global et intégré visant à garantir l’exercice du droit à un logement convenable par les personnes à faible revenu, conformément à l’observation générale no 4. Dans ce plan devront être indiquées les ressources et les mesures qui seront mises en œuvre pour garantir le droit au logement de ces personnes, ainsi que les délais correspondants et les critères qui seront utilisés pour déterminer si l’objectif a raisonnablement été atteint.
(f) Établir un Protocole pour l’exécution des demandes de mesures préventives émises par le Comité, informant les autorités concernées de la nécessité de les respecter pour garantir l’intégrité de la procédure.
Les recommandations lient l’État espagnol (dans tous les domaines politiques, législatifs et juridictionnels et au niveau national, régional ou local) à la réalisation progressive obligatoire du droit humain au logement convenable, notamment pour les personnes et familles vulnérables exclues de la société.
Groupe d’aide juridique
2 November 2019