Langue : Anglais
Date de la décision : 14 janvier 2021
Pays : Ukraine
Juridiction : Cour européenne des Droits de l’Homme (Jugement de la chambre)
Base juridique : Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée et familiale)
Sujet : Expulsions
La cinquième section de la Cour a jugé que les autorités ukrainiennes avaient violé l’article 8 de la CEDH en expulsant les requérants de façon illégale et injuste de leur chambre d’un ancien centre d’hébergement public qui a été transformé en bloc à appartements privés.
Les trois requérants concernent un couple et sa fille qui ont intégré ce centre d’hébergement en 1996. En 2002, la société propriétaire du centre d’hébergement a demandé à un Collège de fournir un hébergement temporaire aux requérants car la société souhaitait rénover le bâtiment. La famille des requérants a dès lors intégré un autre centre d’hébergement, mais elle est restée inscrite à son adresse précédente, dans le centre d’hébergement de la société.
Quelques mois plus tard, la société a introduit une plainte civile contre les requérants pour obtenir une déclaration qu’ils avaient perdu le droit d’occuper ce centre d’hébergement et devraient dès lors être radiés en tant que résidents. En 2005, les requérants et d’autres familles sont entrés par infraction dans le centre d’hébergement de la société et se sont installés dans leurs anciennes chambres qui étaient entre-temps devenues des appartements privés.
La société a modifié sa plainte civile introduite à leur encontre pour inclure une demande d’expulsion. La Cour du district a décidé qu’ils devraient être exclus.
Les requérants ont introduit un appel contre la décision de la Cour, affirmant que cette expulsion les pousserait dans la rue et qu’ils avaient un contrat permanent avec la société. La Cour d’appel a suivi l’argumentation des requérants et a estimé que l’expulsion était illégale.
En 2008, la rénovation était terminée et la société a introduit une nouvelle plainte contre les requérants, afin de les expulser du bâtiment reconstruit en tant qu’occupants illégaux qui n’avaient pas de bail.
Cette fois-ci, la Cour du district a accepté la plainte de la société et a ordonné l’expulsion des requérants. Elle a estimé que le conflit précédent concernait l’occupation des requérants d’un centre d’hébergement en reconstruction, alors que la plainte actuelle concernait l’expulsion d’un appartement privé.
Les requérants ont fait appel de cette décision, mais la Cour d’appel dans un premier temps et la Cour suprême ukrainienne ensuite ont rejeté les appels en cassation des requérants et du procureur.
En décembre 2009, les requérants ont été expulsés de l’ancien centre d’hébergement de la société qui avait été transformé en bloc à appartements.
CEDH
Les requérants ont alors saisi la CEDH, alléguant que l’ordre de leur expulsion de la cour ukrainienne équivalait à une ingérence illégale et injuste de leur droit au respect du domicile, violant ainsi leurs droits émanant de l’article 8 de la Convention.
L’opinion du gouvernement
Selon le gouvernement, l’article 8 ne pouvait être appliqué dans le cas des requérants dans la mesure où l’hébergement ne constituait pas leur « domicile ». En 2002, les requérants avaient accepté d’intégrer les hébergements étudiants du Collège et y avaient établi leur domicile. Le gouvernement a dès lors estimé qu’ils avaient perdu leurs liens avec leur résidence précédente.
L’opinion des requérants
Les requérants ont affirmé que leurs liens avec le centre d’hébergement de la société avaient été continus et importants tout au long de la période de leur occupation (1996-2009). Leur relocalisation dans l’hébergement étudiant du Collège en 2002 avait été une mesure demandée par la société au prétexte de la nécessité de rénover leur résidence habituelle.
Admission du cas
La Cour admet le cas car elle admet l’argumentation des requérants selon laquelle l’appartement dont ils avaient été expulsés constituait leur domicile. Selon la Cour, rien dans cette affaire n’indique que les requérants avaient prévu d’abandonner l’hébergement précédent à ce moment-là.
Bien-fondé
Concernant le bien-fondé de l’affaire, la Cour réitère que la perte d’un logement constitue la forme la plus extrême d’ingérence dans le droit au respect du domicile garanti par l’article 8 de la Convention. Une telle ingérence constitue une violation sauf si elle est conformé à la loi, poursuit un ou plusieurs des objectifs légitimes visés au paragraphe 2 et est par conséquent nécessaire dans une société démocratique pour atteindre l’objectif.
La Cour se réfère au contexte historique pour pouvoir évaluer la légalité de l’expulsion. La transition ukrainienne du modèle soviétique de gestion des ressources vers une économie de marché libre a engendré une hausse des options de logement dans le secteur privé et a nécessité une réévaluation des politiques importantes et du cadre juridique.
En rejetant la plainte des requérants dans les premières instances, les tribunaux intérieurs ont décidé, dans leurs jugements finaux, que la location des requérants était, inter alia, couverte par les articles 100-102 du Code ukrainien du logement. Selon ces conclusions, ni la réinstallation temporaire des requérants ni la reconstruction de l’ancien centre d’hébergement n’ont éteint leur droit d’occupation.
Les principales évaluations de la Cour
55. Examinant les circonstances de la présente affaire à la lumière des principes susmentionnés, la Cour note que l’existence d’une ingérence dans les droits des requérants n’est pas en litige entre les parties. Elle considère que, nonobstant que l’ordre d’expulsion dans la présente affaire a été pris en faveur d’une entité privée, son émission constituait une action d’État équivalant à une ingérence dans le droit des requérants au respect de leur domicile.
63. Compte tenu des positions apparemment contradictoires des tribunaux intérieurs et étant donné l’incapacité de la Cour suprême à expliquer les raisons pour lesquelles elle a refusé d’écouter les arguments soulevés par les requérants et le bureau du procurer dans leurs appels, l’expulsion des requérants ne peut pas avoir été compatible avec l’État de droit ni être nullement arbitraire. Elle ne peut dès lors pas avoir rempli la condition de légalité en vertu de l’article 8 de la Convention.
64. Cette conclusion pare à la nécessité d’analyser tout autre argument soulevé par les parties.
65. L’article 8 de la Convention aurait été violé dans la présente affaire.
Conclusion
Ce qui est particulièrement intéressant dans cette affaire est que la Cour a utilisé l’article 8 dans une relation entre deux parties privées. De fait, le centre d’hébergement duquel les requérants ont été expulsés appartenait initialement à une société publique et devait servir en tant que résidence de ses employés. Dans le cadre de la transformation de la société en société privée la propriété a été transférée vers cette société et a dès lors été privatisée.
Cette affaire est un exemple de l’impact des privatisations post-soviétiques sur le marché du logement et les expulsions en Ukraine.
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