Alors que le Royaume-Uni s’apprête à affronter la triple menace du froid hivernal, d’une pandémie mondiale et d’un Brexit sans accord, le gouvernement est confronté à des crises internes qui menacent sa capacité à respecter sa double promesse de « protéger les vulnérables » et de « renforcer le pays ». Son incompétence à gérer la pandémie, son clash avec les maires du Nord de l’Angleterre concernant les restrictions relatives à la COVID-19 et sa triste décision de ne pas étendre la gratuité des repas scolaires après les vacances font la une de tous les journaux. Toutefois, d’autres choses tout aussi importantes restent totalement sous silence, à l’instar du traitement catastrophique des demandeurs d’asile.
Avant la pandémie déjà, nombre de demandeurs d’asile rencontraient des obstacles apparemment insurmontables pour accéder à l’aide statutaire à laquelle ils avaient droit. Par exemple, les demandeurs d’asile menacés de précarité sont supposés bénéficier de l’aide intitulée Section 95 qui leur offre un hébergement ainsi que 37,75 £ par semaine. Même les demandeurs d’asile dont la demande a été refusée mais qui sont en situation de précarité ont également droit à une aide du gouvernement, à savoir la Section 4 qui leur accorde 35,39 £ en plus d’un hébergement. Ce sont des aides que le gouvernement britannique est légalement obligé de fournir mais, malheureusement, celui-ci continue de traîner les pieds et parfois même d’expulser les personnes qu’il est supposé aider. Les retards au niveau des aides financières combinés aux refus injustes de certaines aides et demandes d’asile poussent de nombreux demandeurs d’asile dans des situations de pauvreté et de sans-abrisme.
Face à une interdiction de travailler et à l’impossibilité de se reposer sur le gouvernement qui est censé veiller à leurs intérêts, ces personnes vulnérables sont obligées de se reposer sur la générosité de la société civile. Même si c’est loin d’être idéal, des centres de bénévoles, des associations et des groupes religieux ont saisi l’occasion pour offrir à ces personnes un filet de sécurité, en leur proposant non seulement de la nourriture et un hébergement mais également une chaleur humaine et un réconfort. Malheureusement, la pandémie a mis un terme à ces quelques mesures de soutien. Si l’annonce du ministère de l’Intérieur d’un moratoire sur les expulsions des demandeurs d’asile a été largement saluée, la nature temporaire de la suspension des expulsions ne fait que placer une épée de Damoclès au-dessus de la tête de personnes vulnérables, étant donné que les demandeurs d’asile pourraient se retrouver à n’importe quel moment dans la rue.
Le 18 septembre 2020, l’épée est finalement tombée lorsque le ministère de l’Intérieur a commencé à envoyer des avis d’expulsion à des demandeurs d’asile malgré l’avertissement de Boris Johnson que le pays s’apprêtait à lutter contre une deuxième vague du virus. Malgré une hausse sensible de cas, le gouvernement a insisté qu’il mettra un terme au moratoire sur les expulsions des demandeurs d’asile, annonçant que les demandeurs d’asile déboutés recevront bientôt 21 jours pour quitter le Royaume-Uni. Il ne faut pas se leurrer, les conséquences de cette décision seront catastrophiques et pas seulement pour les personnes impliquées. D’une part, de nombreuses demandes d’asile sont traitées de façon injuste, étant donné que plus de la moitié des appels contre le ministère de l’Intérieur sont favorables. D’autre part, le gouvernement britannique semble vouloir délibérément engendrer davantage de sans-abrisme, forçant des personnes déjà vulnérables à faire face à la menace de dénuement, et l’utilise comme un outil d’exécution des mesures d’immigration. Étant donné que le nombre de migrants ayant introduit des demandes d’aide durant la COVID-19 a augmenté de 572%, cette décision est d’autant plus préoccupante. Que nous dit-elle sur la moralité d’un gouvernement qui ignore délibérément son obligation statutaire, uniquement pour faire plaisir à la franche de la société britannique qui condamne toutes les choses étrangères ?
Plus important encore, malgré le fait que le ministère de l’Intérieur a lui-même déclaré que les personnes ne devraient pas être exclues si elles se retrouvent dans des autorités locales sujettes à des confinements régionaux, les demandeurs d’asile de ces régions reçoivent des avis d’expulsion, ce qui constitue une violation claire de leurs propres standards. Le 16 octobre, les demandeurs d’asile ont introduit deux appels pour contester cette décision, et une juge de l’immigration a rendu un arrêté favorable, clarifiant que « le risque pour la santé et le bien-être s’applique à tout un chacun, quel que soit son statut d’immigration ». En d’autres termes, il importe de protéger la santé de tous, qu’ils soient citoyens britanniques ou non. Elle a également affirmé que l’expulsion des demandeurs d’asile se trouvant dans des régions confinées était « déraisonnable » et les plaçait dans des situations particulièrement vulnérables, ce qui est en outre une violation claire de leurs droits humains. À ce jour, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu aux demandes de clarification sur la sécurité de la politique des expulsions.
Ceci s’apparente à de la négligence pure et simple. Et cela doit cesser. Depuis trop longtemps, les demandeurs d’asile sont traités comme un désagrément par le gouvernement britannique, un problème qu’il faut déléguer à d’autres. Les personnes qui nécessitent une protection humanitaire en sont régulièrement privées. En réalité, près de deux refus de demandes d’asile sur cinq sont renversés en appel, ce qui démontre que de nombreuses personnes qui ont droit à l’asile au Royaume-Uni se voient injustement déboutées en première instance.
Ce gouvernement doit arrêter de tergiverser chaque fois que des demandeurs d’asile sont mentionnés et il est temps qu’il respecte les règles que lui-même fixe. Pourquoi ressent-il le besoin de fixer des critères douteux qu’il ne compte pas suivre ? Qu’est-ce qui étaye cette décision ? Et oui, il a déjà pris sa décision mais celle-ci peut être facilement inversée. Ce ne serait pas la première fois après tout, alors une fois de plus ou une fois de moins…
Jade MacRury est correspondante pour l’Immigration Advice Service, un cabinet d’avocats spécialisé sur l’immigration basé au Royaume-Uni et en Irlande et qui propose une aide juridique importante pour les migrants