Une nouvelle proposition de loi en France veut durcir les peines sur les squats

Le 31 janvier 2023, la proposition de loi dite « Kasbarian-Bergé » visant à « protéger les logements contre l’occupation illicite » a été examinée par le Sénat français, au sein duquel l’opposition conservatrice est majoritaire. Bien que la proposition de loi ait été adoptée le 2 février 2023, elle doit encore faire l’objet d’une deuxième lecture par les deux chambres.  

Le texte comporte au moins trois éléments discutables du point de vue du droit au logement :

1.           La pénalisation des squatters et des locataires restant dans le logement après un ordre d’expulsion.

2.           L’extension des procédures d’expulsion par les autorités publiques en dehors de la procédure judiciaire.

3.           L’accélération de la procédure d’expulsion locative.  

Le texte initial de la proposition de loi a été élaboré autour de deux grands axes. Le premier concerne le principal changement au regard de l’art. 1.A. En particulier, les personnes qui « pénètrent ou vivent dans des locaux à usage d’habitation » sans titre encourent une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Outre les locaux à usage résidentiel, le texte criminalise également l’entrée ou le séjour sans titre dans des locaux « à usage économique ». Le second concerne une incrimination plus spécifique : « Le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d'habitation en violation d'une décision de justice définitive et exécutoire » deux mois après un commandement de quitter les lieux est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Selon le Syndicat des Avocats de France (28 novembre 2022), la police pourrait dès lors évacuer les lieux sans devoir passer par une procédure judiciaire.

Quant à l’art. 2 bis, la responsabilité du propriétaire pour les dommages causés par la détérioration d’un bâtiment, conséquente à un manque d’entretien, est limitée. L’occupant serait même responsable des dégâts causés par des tiers. Cependant, selon le Syndicat des Avocats de France, l’occupant serait alors responsable des dégâts sans avoir le droit d’intervenir dans l’immeuble. Enfin, la proposition de loi réduirait les pouvoirs du juge de considérer des situations exceptionnelles, notamment en cas de manœuvres du propriétaire sur des locataires extrêmement vulnérables. Le juge, selon le texte initial de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée générale française, ne pouvait plus accorder d’office des délais de paiement et suspendre la clause résolutoire, ni même vérifier le montant de la dette réclamée par le propriétaire ni la décence du logement.  

Heureusement, le Sénat français a introduit des modifications importantes au texte initial de la proposition de loi :

  • En ce qui concerne le squat, la peine est réduite à 2 ans et une amende de 30 000 euros.
  • En ce qui concerne les anciens locataires, la peine de six mois de prison est supprimée mais l’amende de 7 500 euros est maintenue.
  • Il y a quelques exceptions dans lesquelles les dispositions ne s’appliquent pas, comme la trêve hivernale, les délais accordés par le juge, le logement social et public.
  • Les pouvoirs du juge sont rétablis.

Il convient de noter que les dispositions de cette proposition de loi s’inscrivent en porte-à-faux avec la législation européenne relative aux droits de l’homme. En effet, comme l’a souligné la Défenseure des droits[1], Claire Hedon, de nombreuses dispositions de la proposition de loi constituent des atteintes disproportionnées et non-nécessaires au droit au respect de la vie privée des occupants sans droit ni titre. Selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et le principe de proportionnalité, toute atteinte au droit à la vie privée doit être nécessaire, appropriée et proportionnée à la satisfaction d’un besoin social essentiel.

Face à la possibilité d’un recul majeur du droit au logement, des organisations, des mouvements sociaux et des syndicats ont uni leurs forces pour exhorter les sénateurs à empêcher l’adoption de la proposition de loi. La Fondation Abbé Pierre, en collaboration avec d’autres associations, ont mené la fronde contre cette législation. Le Collectif des Associations Unies (C.A.U.) a expliqué dans son communiqué que la proposition de loi initial menacerait le droit au logement en imposant des peines sévères aux squatters.[2] Selon ce collectif d’associations, la loi condamnait déjà l’occupation de logements principaux ou secondaires inoccupés à un an d’emprisonnement et il n’était pas nécessaire de la renforcer. Un risque majeur de la proposition de loi est qu’elle ne punira pas uniquement les squatters (Basta ! 17 janvier 2023), et criminalisera dès lors les locataires précaires, les personnes en situation de pauvreté, les personnes vivant dans des logements inadéquats et des personnes confrontées à des problèmes de vie (Politis, 17 janvier 2023). À la suite d’une manifestation les 28 et 29 janvier 2023, la Fédération Droit au Logement a publié un communiqué de presse appelant au retrait de la proposition de loi.

En conclusion, la proposition de loi Kasbarian-Bergé soulève des préoccupations quant à la criminalisation de personnes qui font déjà face à des circonstances difficiles en raison de la crise du logement. Ces personnes, telles que les locataires menacés d’expulsion et les locataires qui vivent dans des conditions précaires, ont souvent recours à l’occupation de propriétés inoccupées et inutilisées comme forme de logement. Cependant, au lieu de s’attaquer aux causes profondes de la crise du logement, comme le coût élevé des loyers et l’inflation, cette proposition de loi, si elle est adoptée, imposerait une charge supplémentaire à la population la plus vulnérable, ce qui pourrait avoir de graves conséquences sociales et humaines.  

La proposition de loi en est encore à l’étape de la deuxième lecture. On ne sait toujours pas ce qui se passera lorsqu’elle retournera à l’Assemblée nationale et qu’elle sera retournera dans les mains des députés qui l’ont proposée à l’origine. Les mois à venir apporteront plus de clarté sur la question.

 
 

 

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Subject: 
Squats et bidonvilles
Country: 

Fonds

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