Trois concepts juridiques anti-discrimination appliqués au contexte du logement

 

Juan Carlos Benito Sanchez

Chercheur et consultant juridique

Docteur en sciences juridiques

 
Cet article illustre la façon dont la législation anti-discrimination internationale et européenne peut être utilisée pour lutter contre certains problèmes de logement et contribuer à une meilleure mise en œuvre du droit au logement. J’analyse ainsi trois concepts juridiques anti-discrimination spécifiques (discrimination directe, discrimination indirecte et harcèlement dans le domaine du logement), démontrant la façon dont ces concepts opèrent dans le domaine du logement ainsi que la façon dont ils peuvent être utilisés pour lutter contre certaines violations du droit au logement. 
 

Discrimination directe

La discrimination directe concerne une situation où une personne est traitée de façon moins favorable qu’une autre personne dans une situation comparable en raison d’un motif discriminatoire. La discrimination directe est le concept juridique anti-discrimination le plus simple : il peut être utilisé pour lutter contre des cas de traitement inégal basés sur l’hostilité, les préjugés et la stigmatisation contre certaines personnes parce qu’elles ont certaines caractéristiques ou parce qu’elles appartiennent à certains groupes sociaux défavorisés.

Le cas paradigmatique de la discrimination directe dans le domaine du logement est le refus par un propriétaire de vendre ou de louer son bien à un particulier ou à une famille en raison de son origine ethnique, sexe, orientation sexuelle, âge, statut familial, situation socioéconomique défavorisée, etc. Loin d’être un simple exemple typique, ce type de discrimination est très présente dans les pays européens et est fréquemment mentionnée par les organismes nationaux de lutte pour l’égalité dans leurs rapports.

La discrimination directe peut se présenter sous différentes formes, comme lorsqu’un propriétaire affirme ne pas vouloir louer son bien à des personnes noires ou à des couples homosexuels, ou lorsqu’il établit des conditions plus strictes de solvabilité pour les étrangers que pour les ressortissants nationaux. Certains cas de discrimination directe impliquent également une injonction de discriminer : par exemple, les agents immobilier peuvent appliquer des ordres discriminatoires de leurs clients lorsqu’ils recherchent des locataires potentiels. Le cas échant, tant la personne qui donne l’instruction que la personne qui applique l’instruction peuvent être jugées pour discrimination illégale.

Outre les acteurs privés, les autorités publiques peuvent être impliquées dans des cas de discrimination directe à l’encontre de particuliers et de familles. L’exemple le plus clair d’un groupe victime de discrimination structurelle au niveau du logement en Europe en raison de l’hostilité, des préjugés et de la stigmatisation est celui des Roms. Plusieurs affaires jugées devant des cours internationales et européennes et des organes de surveillance des traités concernent la démolition ciblée ou la menace d’expulsion de résidents dans des quartiers où la majorité de la population est rom.

Un dernier exemple de discrimination directe dans le domaine du logement par les autorités publiques est le manque de protection suffisante pour les femmes contre la violence domestique, qui a des liens indéniables avec le logement et la sphère domestique. La discrimination directe se retrouve dans le cas de femmes abusées par leurs partenaires ou ex-partenaires et incapables d’échapper à cette violence parce que les centres publics d’hébergement ne sont pas équipés pour les accueillir avec leurs enfants.

 

Discrimination indirecte

La discrimination indirecte se manifeste lorsqu’une norme, une politique ou une pratique qui est apparemment neutre crée un désavantage particulier pour un groupe spécifique, sans que cette mesure ne soit justifiée par un objectif légitime et mise en œuvre par le biais de moyens appropriés et nécessaires. Ce désavantage spécifique peut être notamment prouvé par des statistiques démontrant un impact disproportionné contre ce groupe en question.

La discrimination indirecte est parfois la conséquence de la discrimination basée sur l’hostilité, les préjugés et la stigmatisation cachée derrière un critère apparemment neutre afin de contourner l’interdiction de la discrimination directe. Dans d’autres cas, il s’agit du résultat de règles établies et incontestées qui ne tiennent pas compte de la situation et des besoins spécifiques de groupes défavorisés sans justification valable. Bien qu’il n’existe pas de différence formelle de traitement dans ce dernier scénario, le traitement des inégaux de façon égale peut engendrer des inégalités, en raison des préjugés structurels inscrits dans ces normes, politiques et pratiques.

Afin de mieux contextualiser le concept de la discrimination indirecte, nous pouvons analyser la situation des Gens du voyage. Historiquement en Europe, les États ont souvent essayé de forcer ces groupes à assimiler les principes traditionnels du logement, refusant de reconnaître les spécificités de leur identité culturelle. Plusieurs décisions judiciaires et quasi-judiciaires au niveau européen ont abordé la discrimination indirecte à l’encontre des Gens du voyage, souvent liée aux expulsions systémiques de sites ou de logements qu’ils occupent en raison du nombre insuffisant de sites adéquats.

Les exemples de politiques apparemment neutres avec un impact disproportionné sur les Gens du voyage sont également légion au niveau national. Aux Pays-Bas, plusieurs cas ont abordé la réduction drastique par le gouvernement néerlandais du nombre de sites disponibles pour héberger les Gens du voyage. En Irlande, malgré les fonds suffisants pour fournir des hébergements ciblés aux Gens du voyage, on constate un manque général d’engagement politique qui engendre un déficit au niveau de la mise en œuvre.

Les législateurs et les décideurs politiques doivent tenir compte des identités et besoins spécifiques des groupes défavorisés lorsqu’ils conçoivent et mettent en œuvre des législations et politiques de logement étant donné que l’inverse peut engendrer des situations de discrimination indirecte illégale. Il importe pour ce faire de prendre en considération la diversité des représentations des notions de logement pour les différents groupes, en reconnaissant que la conception par défaut au cœur de la plupart des normes et pratiques se base sur les représentations majoritaires sans tenir compte des notions alternatives.

 

Harcèlement discriminatoire

Le harcèlement discriminatoire est un concept fort pour lutter contre certaines actions qui peuvent être difficiles à intégrer dans les catégories de discrimination directe et discrimination indirecte, mais qui sont néanmoins courantes dans le contexte du logement. Le harcèlement discriminatoire se concentre sur l’existence d’un comportement indésirable persistant lié à un des motifs interdits, en vue de porter atteinte à la dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant ou offensant qui entrave le plein exercice ou la réalisation des droits humains. Contrairement à la discrimination directe et indirecte, il ne nécessite aucun élément comparatif.

Le harcèlement discriminatoire dans le domaine du logement se caractérise par la volonté de l’auteur d’entraver la réalisation du droit au logement par rapport à un motif interdit de discrimination. Il doit être persistant, impliquant la répétition d’une action ou d’une série d’actions au cours du temps. L’exemple le plus fréquent d’harcèlement discriminatoire se présente lorsqu’un propriétaire tente d’expulser un locataire via des moyens illégaux en vue de conclure un nouveau contrat locatif, souvent pour appliquer un loyer plus élevé ou pour profiter de règlements moins stricts qui s’appliqueraient au nouveau contrat.

L’interdiction du harcèlement discriminatoire dans le domaine du logement a été confirmée par plusieurs tribunaux nationaux et organes de lutte pour l’égalité un peu partout en Europe. Un exemple notable était la publication par le maire d’une municipalité hongroise d’une lettre ouverte adressée aux résidents leur demandant de ne pas vendre leurs biens à des Roms. Un autre cas de harcèlement discriminatoire s’est manifesté dans la décision d’une municipalité de construire un mur en béton séparant un grand quartier rom de la route principale de la ville.

La municipalité de Barcelone a également commencé à utiliser la notion de harcèlement dans le domaine du logement en vue de lutter contre le comportement indésirable de certains propriétaires. Cette décision est soutenue par la Loi catalane relative au droit au logement, qui interdit explicitement toute action ou omission visant à empêcher une personne de jouir paisiblement de son logement, avec l’objectif final de de la forcer à adopter une décision indésirable relative à son droit légal à occuper ce logement.

Le harcèlement discriminatoire pourrait ainsi être utilisé pour lutter contre la situation des migrants précaires et sans papiers obligés de louer des logements à des propriétaires de taudis qui profitent de leur vulnérabilité et leur offrent des conditions dégradantes de logement à des prix abusifs. Il pourrait en outre être utilisé pour lutter contre le traitement inhumain infligé par certaines autorités publiques aux personnes sans abri lorsqu’elles interdisent et sanctionnent le sans-abrisme de rue ou lorsqu’elles traitent ces personnes de façon intimidante et hostile.

 

Conclusion

Les trois concepts juridiques anti-discrimination analysés dans cet article (discrimination directe, discrimination indirecte et harcèlement discriminatoire) peuvent être utilisés pour lutter contre des problèmes spécifiques de logement et des violations du droit au logement. Ils démontrent que la législation anti-discrimination est un allié utile dans la lutte pour la réalisation du droit au logement adéquat.

Premièrement, la discrimination directe nous permet de lutter contre des violations liées à l’hostilité, aux préjugés et à la stigmatisation à l’encontre de personnes, notamment lorsqu’une injonction de discriminer est impliquée. Ceci est particulièrement pertinent dans le cas des Roms en Europe. Deuxièmement, la discrimination indirecte permet de lutter contre la situation où une norme, une politique ou une pratique a un impact disproportionné sur un groupe défavorisé sans justification adéquate, ce qui démontre le besoin pour les autorités publiques de tenir compte de la situation spécifique de ces groupes. Ceci est particulièrement manifeste dans le cas des Gens du voyage. Troisièmement, le harcèlement discriminatoire peut être utilisé pour lutter contre le comportement indésirable persistent lié à un motif discriminatoire interdit qui entrave la pleine réalisation du droit au logement pour certaines personnes. Ceci est important pour lutter contre les actions de propriétaires de taudis et le traitement dégradant de personnes sans abri par les autorités publiques.

Lien vers sa thèse de doctorat sur le sujet (Anglais): Securing housing for all in diverse European societies : applying international and European antidiscrimination law to the housing context

French
Subject: 

Fonds

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