Par Alain Couderc, Avocat (Lyon)
La récente réforme du droit d’asile en France, entrée en vigueur le 1er novembre 2015, marque une nouvelle étape dans l’assimilation du demandeur d’asile au migrant de droit commun et révèle de façon éclatante le climat de suspicion généralisée à l’encontre de ceux qui sollicitent une protection internationale.
Il n’est qu’à lire l’exposé des motifs du projet de loi selon lequel le dispositif antérieur crée une « incitation au détournement de la procédure d’asile à des fins migratoires ».
Dès lors, la nouvelle procédure d’asile française, bien que comportant certaines avancées, offre à l’Etat de meilleures possibilités de contrôler ceux qui vont, dans leur grande majorité, être prochainement déboutés d’asile, par la création de dispositifs qui permettent « plus facilement d’écarter rapidement la demande d’asile infondée » (exposé des motifs du projet de loi) et bien évidemment d’expulser au plus vite celui qui sera bientôt qualifié de fraudeur [1].
Parmi ces dispositifs il en est un dont l’ambigüité permet tout à la fois de revendiquer officiellement une avancée dans l’accueil des demandeurs d’asile tout en restreignant ses droits.
Partant du constat bien réel de la saturation totale du système d’accueil des demandeurs d’asile (en 2014 la France disposait de 24689 places en centre d’accueil pour demandeur d’asile soit de quoi accueillir seulement 33% des demandeurs) la réforme, se présentant comme une transposition de la directive « accueil » (2013/33/UE du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013) met en place un dispositif d’hébergement directif et contraignant.
La nouvelle loi prévoit un schéma national d’hébergement des demandeurs d’asile fixant la répartition des hébergements sur l’ensemble du territoire national, qui doit être ensuite décliné en schémas régionaux par les préfets.
Concrètement, le demandeur d’asile se présentera auprès de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) qui lui imposera un hébergement parmi les places disponibles, dans le département et à défaut sur tout le territoire national. Le demandeur d’asile aura cinq jours, pour rejoindre cet hébergement.
Si l’idée, à supposer que le système fonctionne, d’offrir un toit à tout demandeur d’asile est évidemment louable, les moyens juridiques utilisés ne sont pas sans soulever de véritables interrogations quant aux atteintes à certains droits fondamentaux qu’ils impliquent.
Ainsi le caractère contraignant, obligatoire et sans exception du principe de l’hébergement imposé est constitutif d’une atteinte à la liberté d’aller et venir.
La question est de déterminer si cette atteinte pourrait être justifiée eu égard aux motifs pour lesquelles elle est portée à savoir offrir des conditions matérielles d’accueil digne de ce nom.
Or force est de constater que le consentement préalable du demandeur d’asile n’est pas requis.
La loi ne prohibe pas non plus la séparation des familles, se remettant à cela à la bonne appréciation des agents de l’Etat.
Il n’est pas non plus prévu d’exception possible pour les demandeurs d’asile souhaitant être hébergés par des tiers. Or il est de notoriété publique, et le législateur aurait dû en principe en être informé …, que les demandeurs d’asile, nouveaux arrivants, vont, pour d’évidentes raisons matérielles, affectives et phycologiques privilégier l’hébergement par des membres de famille, ou issus de leur communauté.
Cette absence de souplesse dans le dispositif est révélée par la dureté de la sanction en cas de non respect de l’affectation d’hébergement.
D’une part le demandeur d’asile perd le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, à savoir aide financière et possibilité de bénéficier d’un autre hébergement, et d’autre part risque de voir sa demande d’asile clôturée par l’OFPRA s’il n’a pas fourni d’adresse « dans un délai raisonnable » (SIC) que l’OFPRA appréciera vraisemblablement souverainement.
Ce dispositif d’hébergement directif est également porteur d’un risque de rupture d’égalité des demandeurs d’asile dans le traitement de leur demande.
D’une part, compte tenu de la totale saturation du dispositif d’hébergement existant et nonobstant l’engagement de l’Etat de créer 11000 places d’hébergement pour le mois de janvier 2016, en l’impossibilité d’offrir une place en centre d’accueil pour demandeur d’asile à chaque demandeur, l’Etat va multiplier la création d’HUDA (hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile). Ces hébergements vont être débloqués par l’agrément donné à des associations offrant déjà des places d’hébergements d’urgence et vont entrainer une disparité dans le suivi des demandeurs d’asile.
Les HUDA comme les CADA ont certes pour mission d’assurer l’accompagnement social des personnes hébergées ainsi que l’accompagnement juridique par la constitution et le suivi du dossier d’asile, il n’en demeure pas moins que d’une part les personnels ne sont pas formés à cette matière particulière et qu’en tout état de cause le taux d’encadrement est plus faible en HUDA qu’en CADA.
Il pourrait être opposé le fait que l’accompagnement offert en HUDA est meilleur que le néant prévalant jusqu’à lors pour les demandeurs d’asile non hébergés.
La différence est que ce qui résultait jusqu’alors d’un disfonctionnement du système (non prise en charge d’un demandeur d’asile en violation d’ailleurs de la directive « accueil » précédemment citée) est désormais officialisé par les textes.
Se pose en outre la question du délaissement territorial par les associations spécialisées en droit des étrangers et en droit d’asile au profit des grandes métropoles.
Or l’aide de ces associations dans la constitution des dossiers, que ce soit par une expertise juridique, une connaissance des situations géopolitiques ou une spécialisation médicale auprès des demandeurs d’asile est essentielle quant au taux d’octroi de la protection.
Or un dispositif législatif touchant de près ou de loin à des droits fondamentaux et qui, dans sa philosophie globale comme dans ses modalités de mises en œuvre, permet une interprétation liberticide ne peut, par essence, être approuvé.
Ce n’est pas faire preuve de machiavélisme que d’imaginer que tel ou tel demandeur d’asile, ès qualité, ou provenant de tel ou tel pays pourrait se voir contraint à l’isolement dans une région peu propice à l’élaboration d’un suivi efficace de son dossier.
Car, et il s’agit là d’une dernière objection majeure, le système mis en place permet une surveillance généralisée de chaque demandeur d’asile sur le territoire français, s’apparentant à une assignation administrative à résidence, dont l’état d’urgence actuel prononcé suite aux attentats de Paris démontre d’ores et déjà le dévoiement possible par un Etat en recherche de la mise en œuvre d’une politique exclusivement sécuritaire.
Il a déjà été exposé que le demandeur d’asile n’aurait que cinq jours pour rejoindre le lieu d’hébergement qui lui a été affecté, faute de quoi il sera considéré comme ayant refusé l’offre d’hébergement et perdra le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, avec l’accompagnement corolaire.
Mais encore, il sera considéré comme ayant abandonné son lieu d’hébergement s’il s’en absente plus d’une semaine sans justification valable, ce qui évidemment dans la pratique correspond à une obligation de pointage au moins une fois par semaine. S’il ne respect pas cette obligation il perdra là encore le bénéfice des conditions matérielles d’accueil et pourra vraisemblablement se voir opposer une clôture par l’OFPRA faute d’avoir produit une adresse.
Afin de rendre le système plus efficace le gestionnaire du lieu d’hébergement aura même l’obligation d’informer l’OFII.
C’est ainsi que les structures dédiées à l’aide aux demandeurs d’asile se retrouvent en première ligne de la lutte contre ce quasi présumé fraudeur que constitue l’étranger en demande de protection.
Sachant par ailleurs que les associations bénéficiaires d’un agrément pour accueillir les demandeurs d’asile seront partiellement financées sur le budget de l’OFII, qui est également l’organisme qu’elles devront obligatoirement prévenir si le demandeur d’asile manque à l’appel, on comprendra que tout a été pensé.
Qu’il soit donc rappelé qu’au terme des dispositions de l’article 2 du protocole additionnel n°4 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la liberté d’aller et venir et de circulation ne peut faire l’objet de restriction que si elle « constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sureté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et liberté d’autrui. »
Il appartiendra aux juridictions nationales puis internationales de déterminer si les obligations imposées au demandeur d’asile rentrent dans ce cadre.
Il est communément admis que le droit des étrangers constitue souvent le laboratoire de dispositions visant à être généralisées à l’ensemble de la population. Reste à espérer que cette idée qui pourrait conduire un Etat à imposer un lieu d’hébergement au prétexte de la nécessaire protection d’une personne vulnérable dépendante pour partie et au moins temporairement de la solidarité de la Nation, soit cette fois ci-erronée.
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[1] Extrait des statistiques EUROSTAT sur le pourcentage des demandes d’asiles acceptées en première instance, en Europe en fonction des pays : Suède 76,80%, Pays-Bas 70,45%, Suisse 70,68%, Danemark 68,03%, Norvège 64,20%, Italie 58,49%, Allemagne 46,83%, Belgique 39,56%, Royaume-Unis 38,84%, France 21,74%, pour une moyenne globale de 45,24%.
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