Langue : Français
Date de la décision : 19 janvier 2021
Pays : Suisse
Juridiction : Cour européenne des Droits de l’homme (Jugement de la chambre)
Base juridique : Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée et familiale)
Sujet : Mendicité en public
La troisième section de la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que la ville de Genève avait violé le droit de la requérante au respect de la vie privée et familiale découlant de l’article 8 de la CEDH. La ville avait condamné la requérante à payer une amende de 500 francs suisses (environ 464 euros) pour avoir mendié sur la voie publique à Genève en vertu du Code pénal de Genève qui interdit la mendicité en public. Elle a ensuite été placée en détention pour non‑paiement de l’amende.
La requérante avait également plaidé que l’interdiction de mendicité sur la voie publique avait violé sa liberté d’expression (protégée en vertu de l’article 10). En outre, elle a affirmé qu’elle avait été victime de discrimination en raison de son origine sociale et ethnique, ce qui constitue une violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) lu conjointement avec l’article 8.
Avec cet arrêté, la Cour a présenté pour la toute première fois un « droit humain à la mendicité ».[1] La requérante était illettrée et venait d’une famille extrêmement pauvre. Elle n’avait pas de travail et ne touchait aucune allocation sociale. La Cour a reconnu que la requérante, étant dans une situation clairement vulnérable, avait le droit, inhérent à la dignité humaine, de pouvoir demander l’aumône et essayer de répondre à ses besoins basiques en mendiant.
L’article 8§2 stipule que chaque interférence au droit au respect de la vie privée et familiale par l’État nécessite une base juridique et que cette restriction est « nécessaire dans une société démocratique » dans l’intérêt de biens supérieurs énumérés dans l’article.
Cette base juridique est donnée par le droit suisse qui interdit la mendicité en public. La cour a concentré son jugement sur la question de la nécessité d’une telle interdiction dans une société démocratique.
La Cour a considéré qu’une telle mesure devait être justifiée pour des motifs d’intérêt public. Le gouvernement suisse avait souligné que la peine imposée pour mendicité avait pour objectif de combattre la criminalité organisée et de protéger l’ordre public et la sécurité publique. Contrairement à cette argumentation, la Cour a remis en question le fait que la pénalisation des victimes de ces réseaux était une mesure efficace contre ce phénomène. La Cour a conclu que la peine imposée à la requête n’était pas proportionnée par rapport au but visé.
En outre, la Cour n’a pas souscrit à l’argument de la Cour fédérale selon lequel des mesures moins restrictives n’auraient pas conduit à un résultat similaire. Dès lors, la Cour réalise une étude comparative des mesures sur la mendicité dans 38 des États membres du Conseil de l’Europe.
La Cour a conclu que « la sanction infligée à la requérante ne constituait une mesure proportionnée ni au but de la lutte contre la criminalité organisée, ni à celui visant la protection des droits des passants, résidents et propriétaires des commerces. »
Par ailleurs, la Cour estime que la mesure par laquelle la requérante, qui est une personne extrêmement vulnérable, a été punie pour ses actes dans une situation où elle n’avait très vraisemblablement pas d’autres moyens de subsistance et, dès lors, pas d’autres choix que la mendicité pour survivre, a atteint sa dignité humaine et l’essence même des droits protégés par l’article 8. »
La Cour a estimé que l’ingérence dans l’exercice de la requérante de ses droits protégés par l’article 8 n’était pas « nécessaire dans une société démocratique » comme mentionné par l’article 8, §2. Par conséquent, la Suisse a outrepassé sa marge d’appréciation pour se prononcer sur la nécessité d’une ingérence dans l’exercice d’un droit protégé par l’article 8.
En élargissant l’interprétation de la « vie privée » en vertu de l’article 8, la Cour a estimé que le concept de dignité humaine était protégé par cet article. La Cour note que la dignité humaine est compromise lorsque des personnes sont privées des moyens de subsistance nécessaires.
La Cour a jugé à l’unanimité la violation de l’article 8. Elle a également décidé, par cinq voix contre deux, qu’il n’y avait pas lieu d’examiner séparément les griefs formulés sur le terrain de l’article 10 (liberté d’expression) et de l’article 14 (non-discrimination).
Le jugement du 19 janvier était un jugement de la chambre. Les deux parties ont maintenant trois mois pour pouvoir envoyer l’affaire à la Grande chambre de la CEDH pour un jugement final.
Dommage :
La Cour considère que les faits à l’origine de la violation de l’article 8 pourraient avoir engendrer de la souffrance pour la requérante. Par conséquent, la Suisse doit payer la somme de 922 euros pour dommage morale, plus la somme qui doit être payable sur ce montant en tant qu’impôt.
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Autres lectures :
Beg your Pardon!: Criminalisation of Poverty and the Human Right to Beg in Lăcătuş v. Switzerland
Corina Heri, ‘Beg your Pardon!: Criminalisation of Poverty and the Human Right to Beg in Lăcătuş v. Switzerland’, dans: https://strasbourgobservers.com/2021/02/10/beg-your-pardon-criminalisati...
L’interdiction générale de la mendicité viole l’art. 8 CEDH (CourEDH)
Quentin Cuendet,’L’interdiction générale de la mendicité viole l’art. 8 CEDH (CourEDH)’, dans : www.lawinside.ch/1017/
[1] HERI Corina, ‘Beg your Pardon!: Criminalisation of Poverty and the Human Right to Beg in Lăcătuş v. Switzerland’, 10.02.2021, https://strasbourgobservers.com/2021/02/10/beg-your-pardon-criminalisati...