OCTOBRE 2015
Par Suzanne Bouclin, Professeure Agrégée de la Faculté de Droit de l'Université d'Ottawa, Canada
Le Programme de contestation des contraventions (PCC), réinstauré en 2014 par la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa dans le cadre d’un partenariat entre la communauté et le campus, offre une aide juridique gratuite dans les deux langues officielles (français et anglais) aux sans-abri inculpés d’infractions à des lois provinciales ou municipales au sein de la province d’Ontario. Notre base de clients est composée d’un groupe très divers de personnes confrontées à des problèmes socioéconomiques comme la pauvreté extrême, le chômage ou le sous-emploi, l’accès difficile aux programmes de santé ou aux programmes sociaux, le manque d’accès aux programmes de réduction des risques ou de traitement de la toxicomanie, et l’absence de logement stable et approprié. Les problèmes rencontrés par nos clients résultent souvent d’expériences personnelles de violence, de stress post-traumatique, de racisme, de traumatismes intergénérationnels, de problèmes de paris ou d’autres problèmes d’endettement, et d’un cycle de criminalisation, d’incarcération/institutionnalisation et de libération/désinstitutionalisation sans aide sociale appropriée.
À Ottawa, comme dans de nombreuses autres juridictions du Canada, les personnes vivant dans la rue sont souvent harcelées par les forces de l’ordre car elles développent des stratégies pour survivre dans la rue. Cet harcèlement prend souvent la forme d’arrestations pour des infractions à des lois provinciales et municipales comme la mendicité, la consommation d’alcool dans un lieu public, la possession de seringues servant à l’injection de drogue, des comportements imprudents de piétons, l’absence de tickets pour des transports publics, l’absence de casque pour rouler à vélo ou l’absence de freins ou de phares sur un vélo, l’état d’ébriété sur la voie publique, le fait de dormir dans des parcs, les violations de propriété et les nuisances sonores. Ces contraventions vont de 90 dollars (environ 60 euros) à 500 dollars (environ 350 euros). Certains de nos clients ont plus de 50 contraventions.
Certains sans-abri se contentent d’ignorer ces contraventions. Toutefois, ces inculpations ont un impact réel et constant sur des personnes qui sont déjà vulnérables. De fait, la grande majorité de ces personnes sont déclarées coupables in absentia (elles ne sont pas présentes au procès) et son inculpées par défaut. Ces amendes appliquent des intérêts. Par conséquent, de nombreux sans-abri sont endettés à hauteur de milliers de dollars pour amendes non payées. D’autres personnes sans domicile, notamment celles qui essaient de trouver des logements sociaux, d’entrer dans un programme de traitement de la toxicomanie, de retourner à l’école ou d’obtenir des documents officiels (comme un permis de conduire), veulent contester ces contraventions. Elles doivent cependant faire face à des obstacles systémiques et sociaux qui rendent l’exercice de leurs droits juridiques pratiquement impossible. Bien évidemment, les sans-abri ne peuvent se permettre une défense juridique, et des services d’aide juridique ou d’avocats de garde ne sont pas disponibles pour les infractions aux lois provinciales lorsque, comme c’est généralement le cas, il n’y a pas de menace directe d’incarcération. En outre, de nombreux sans-abri sont harcelés par la police ; dès lors, la simple pensée de devoir témoigner devant un tribunal contre un officier de police peut être extrêmement intimidante et les clients peuvent abandonner par simple peur de représailles par l’officier en question dans la rue. Par ailleurs, la présence au tribunal, qui se trouve parfois à plusieurs kilomètres des quartiers où ces sans-abri ont reçu la majorité de leurs contraventions, représente une difficulté supplémentaire pour les personnes qui sont confrontées à des problèmes de mobilité et qui ne peuvent se permettre financièrement le trajet en bus. Enfin, certains sans-abri ne pensent pas pouvoir s’habiller de façon appropriée pour un tribunal ou manquent de confiance en eux pour se retrouver dans le système juridique.
Le Programme de contestation des contraventions d’Ottawa aide ces personnes de trois façons. Premièrement, notre mission principale est de fournir aux sans-abri une représentation juridique au tribunal provincial pour des infractions liées à la pauvreté. Le résultat le plus fréquent est alors de voir les charges contre nos client être retirées. Dans les rares cas où nos clients sont reconnus coupables, nous avons réussi à obtenir une suspension de leurs peines. À ce jour, parmi nos 47 clients représentés lors de leurs procès, seul un client a dû payer l’amende qui a été réduite de plusieurs centaines de dollars. Deuxièmement, si nos clients désirent se représenter eux-mêmes, notre mission inclut l’accompagnement de nos clients au tribunal, des conseils juridiques pour leur permettre de développer leurs arguments juridiques, et des informations sur la procédure juridique. Enfin, lorsqu’un sans-abri est confronté à un problème qui ne rentre pas dans le champ de travail du PCC, nous référons ces clients vers des avocats ou des centres communautaires qui peuvent les aider.
Notre modèle est axé sur les clients et est orienté vers la communauté. Nous passons parfois chez un de nos partenaires communautaires comme des centres de santé, des centres d’hébergement et des centres d’accueil. Nous réalisons en outre des activités de proximité via des cabinets juridiques, comme celle organisée cet été dans un parc dans la cadre de la campagne mondiale Support. Don’t Punish pour des politiques plus humaines et plus justes en matière de lutte contre la drogue et pour des initiatives de santé publique. Cet événement a permis de faciliter l’accès à un avocat ou à des étudiants en droit pour les sans-abri qui ont du mal à se rendre dans les centres d’accueil. Il s’agissait en outre d’un activité de sensibilisation qui a permis au grand public de découvrir le profil social des sans-abri.
Depuis son relancement en tant qu’initiative universitaire, le PCC a collecté plus de 410 contraventions et a aidé 47 clients à réduire leurs dettes de milliers de dollars. En contestant ces contraventions, le PCC aide ces personnes à réduire les obstacles auxquels elles sont confrontées pour sortir du cycle de la pauvreté, les rapprochant un peu plus des ressources nécessaires pour vivre une vie meilleure et plus saine.
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