Suivi des décisions sur le bien-fondé des réclamations collectives : Constats 2021

Conformément à la procédure de rapports de la Charte sociale européenne, certain pays ont été exemptés de rapport pour les Constats 2021. Ces pays (Belgique, Bulgarie, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie et Portugal) ont été invités à fournir des informations sur le suivi des décisions par rapport à leurs réclamations collectives respectives. Parmi les différentes conclusions, Housing Rights Watch souhaite mettre en exergue les réclamations collectives et les conclusions du Comité dans lesquelles le droit au logement convenable est concerné via différentes dispositions de la Charte sociale européenne. Vous trouverez ci-dessous un résumé des réclamations collectives et conclusions liées au droit au logement, divisées par pays et par réclamation.  

Panorama pays par pays : 

Belgique

Fédération internationale des Droits de l’homme (FIDH) c. Belgique, Réclamation N° 62/2010[1]concernant le droit au logement des Gens du voyage. Dans sa décision, le Comité a conclu qu’il y avait plusieurs violations de l’article E (non-discrimination) lu conjointement avec l’article 16 de la Charte aux motifs de la non-reconnaissance des caravanes en tant que logements, l’insuffisance des aires de stationnement, l’insuffisance de garanties encadrant les expulsions et la non-prise en compte des circonstances spécifiques des familles des Gens du voyage lors de l’application de la législation. Le Comité a également souligné l’absence de politique globale et coordonnée visant à combattre la pauvreté des Gens du voyage, concernant l’article 30 de la Charte. Dans son évaluation du suivi, le comité estime que des progrès ont été réalisés concernant la reconnaissance des caravanes en tant que logements dans la Région wallonne et qu’il existe des projets actifs visant à développer les aires d’accueil pour les Gens du voyage. Toutefois, aucune information n’a été fournie concernant les normes de qualité des logements qui sont adaptées aux caravanes dans la Région bruxelloise et dans la Région wallonne, et il y a un manque d’information sur le nombre de sites disponibles pour les Gens du voyage dans ces régions. Le Comité note également que les Gens du voyage ne bénéficient pas suffisamment d’une politique globale cordonnée pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale auxquelles ces personnes sont confrontées en Belgique. Le Comité conclut dès lors que la situation n’est pas conforme avec les dispositions de la Carte invoquées.   

Bulgarie

Centre européen des droits des Roms c. Bulgarie, Réclamation N° 31/2005[2]concernant le droit au logement des familles roms. Dans sa décision, le Comité a mis en évidence des violations de l’article E lu conjointement avec l’article 16 aux motifs du logement inadéquat des familles roms et du manque d’installations adéquates, l’absence de sécurité juridique d’occupation et le non-respect des conditions applicables à l’expulsions des familles roms des logements occupés illégalement par ceux-ci. Concernant le logement inadéquat des familles roms et l’absence d’installations adéquates, le Comité prend note dans son évaluation des mesures prises et des initiatives en cours. Toutefois, le Comité note également qu’aucune nouvelle information n’a été fournie par les autorités bulgares sur les questions de la légalisation du logement des Roms et des expulsions forcées, et considère que la situation en Bulgarie n’a pas été mise en conformité avec la Charte.   

France

Médecins du Monde – International c. France, Réclamation N° 67/2011[3], concernant les droits des migrants roms. Le Comité a mis en évidence des violations de l’article E lu conjointement avec l’article 31, paragraphe 1, aux motifs d’un accès excessivement limité des roms migrants au logement adéquat et des conditions précaires de logement ; avec l’article 31, paragraphe 2, aux motifs de l’expulsions des roms migrants des sites sur lesquels ils se sont installés et des mesures inadéquates pour fournir des hébergements d’urgence et réduire le sans-abrisme parmi les roms migrants ; et avec l’article 16, aux motifs des mesures inadéquates pour fournir des logements aux familles des roms migrants séjournant légalement ou travaillant légalement en France. Dans son évaluation précédente du suivi, le Comité a expliqué que les situations qui avaient conduit à des violations de l’article E lu conjointement avec les articles 16, 30, 31§1 et 31§2 avaient été mises en conformité. En revanche, le Comité considère que la situation n’a pas été mise en conformité avec certaines des autres violations de droits concernées dans la réclamation. 

Comité européen d'action spécialisée pour l'enfant et la famille dans leur milieu de vie (EUROCEF) c. France, Réclamation n° 114/ 2015[4], concernant les droits des mineurs étrangers non-accompagnés. Par rapport au droit au logement, le Comité a mis en évidence la violation de l’article 17, paragraphe 1, en raison de carences relevées dans le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation pour les mineurs étrangers non-accompagnés ; et une violation de l’article 7, paragraphe 10, en raison de l’hébergement inapproprié des mineurs ou de leur exposition à la vie dans la rue. Dans son évaluation du suivi, le Comité demande des données sur le taux de refus des demandes introduites par les personnes qui sont mineurs et qui veulent accéder aux services de protection de l’enfance et des informations sur l’hébergement inadéquat des mineurs ou leur exposition à la vie dans la rue. Le Comité considère que la situation n’a pas été mise en conformité.   

Forum européen des Roms et des Gens du Voyage (FERV) c. France, Réclamation n° 119/2015[5]concernant les droits des enfants roms. Dans sa décision, le Comité met en évidence des violations de l’article E combiné avec l’article 31 de la Charte. Le Comité a conclu que la situation qui avait conduit aux conclusions des violations de l’article E lu conjointement avec l’article 31 avait déjà été mis en conformité. 

Grèce

Centre européen des Droits des Roms (ERRC) c. Grèce, Réclamation n° 15/2003[6], concernant l’accès au logement pour les familles roms. Le Comité a conclu qu’il y avait violation de l’article 16 aux motifs de l’insuffisance des logements pérennes, le manque d’aires de stationnement temporaire et l’expulsion forcée de familles roms. 

International Centre for the Legal Protection of Human Rights (INTERIGHTS) c. Grèce, Réclamation n° 49/2008[7], concernant l’accès au logement pour les familles roms. Le Comité a conclu qu’il y avait violation de l’article 16 aux motifs du manque de considération de la situation particulière des familles, raison pour laquelle de nombreuses familles toms continuent de vivre dans des conditions qui ne répondent pas aux normes minimales, et pour laquelle des familles roms continuent d’être expulsées de force en violation de la Charte alors que les recours juridiques généralement disponibles ne sont pas suffisamment accessibles pour ces familles. 

Dans son évaluation combinée du suivi, le Comité considère que des progrès ont été réalisés. Toutefois, le Comité demande au gouvernement de fournir davantage d’informations sur les mesures prises par les autorités publiques pour améliorer les conditions précaires de logement des Roms. Le Comité estime que la situation n’a pas été mise en conformité avec la Charte car il n’a pas été démontré qu’il y avait une protection juridique adéquate pour les familles roms menacées d’expulsion, et les expulsions sont mises en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes concernées.  

Irlande

Centre européen des Droits des Roms (CEDR) c. Irlande, Réclamation n° 100/2013[8], concernant le droit au logement des Gens du voyage. Dans sa décision, le Comité a conclu qu’il y avait violation de l’article 16 au motif de la fourniture insuffisante d’hébergements pour les Gens du voyage. En outre, la Loi sur la justice pénale de 1994 prévoit des garanties insuffisantes pour les Gens du voyage menacés d’expulsion. Le Comité note que l’Irlande a réalisé des progrès au niveau de la fourniture d’hébergements pour les Gens du voyage, l’accès au logement et la rénovation des hébergements destinés aux Gens du voyage. Toutefois, malgré ces progrès, il existe toujours de graves manquements au niveau de la fourniture d’hébergements pour les Gens du voyage. Le Comité a souligné les garanties inadéquates gouvernant les expulsions des Gens du voyage et demande des informations sur l’adoption et la mise en œuvre de toutes les mesures envisagées en vue de résoudre la situation. En outre, le Comité estime que la situation n’a pas encore été mise en conformité avec l’article 16 de la Charte. 

Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) c. Irlande, Recommandation n° 110/2014[9]concernant les logements sociaux. Le Comité a conclu dans sa décision qu’il y avait violation de l’article 16 au motif du nombre important de locataires sociaux vivant dans des conditions précaires de logement. Le Comité met en évidence que l’Irlande a réalisé des progrès dans l’adoption de mesures afin de garantir des conditions de vie adéquates dans les logements sociaux. Toutefois, malgré ces progrès, le Comité note des manquements importants au niveau de la fourniture d’hébergements adéquats pour de nombreuses familles, qui vivent toujours dans des conditions précaires dans des logements sociaux. Le Comité note également les problèmes de gestion et d’entretien des logements pour les locataires, et souligne que le cadre juridique pour le droit au logement des familles en Irlande est toujours insuffisant et qu’il n’existe pas de statistiques nationales sur les conditions du parc de logements sociaux. En outre, le Comité estime que la situation n’a pas été mise en conformité avec l’article 16. 

Portugal

Centre européen des Droits des Roms (CEDR) c. Portugal, Réclamation n° 61/2010[10], concernant le droit au logement des Roms. Le Comité a conclu qu’il y avait violation de l’article E lu conjointement avec les articles 31§1, 16 et 30, au motif des conditions précaires de logement de la communauté rom, associé au fait que le gouvernement n’avait pas démontré avoir pris de mesures suffisantes pour garantir que les Roms vivent dans des conditions adéquates de logement et que la mise en œuvre des programmes de relogement par les municipalités engendre souvent la ségrégation et la discrimination des Roms. Dans son évaluation du suivi, le Comité met en évidence que si les autorités ont ajusté leurs politiques, les financements et la collecte de données et ont adopté des mesures pour réduire les effets de la pandémie du Covid-19, de nombreuses personnes appartenant à la communauté rom sont toujours victimes de discrimination indirecte et de ségrégation, en raison des politiques mises en œuvre. Le Comité note que les données sont trop limitées et qu’il y a des familles roms « invisibles » qui ne sont pas en contact avec les institutions publiques. Le Comité considère que, malgré les progrès réalisés, la situation n’a pas encore été mise en conformité avec l’article E lu conjointement avec les articles 31§1, 16 et 30 de la Charte.   

Italie

Centre européen des Droits des Roms (CEDR) c. Italie, Réclamation n° 27/2004[11], concernant l’accès au logement des communautés roms et sintées (RSE). Dans sa décision, le Comité a mis en évidence les violations de l’article E lu conjointement avec l’article 16 au motif que les RSE n’avaient pas accès à des logements adéquats et ne bénéficiaient d’aucune protection contre l’interférence dans la vie familiale ; avec l’article 31, paragraphe 1, au motif des conditions de vie inadéquates dans les camps, des mesures inadéquates pour garantir que les Roms bénéficient de logements de qualité suffisante pour répondre à leurs besoins particuliers ; avec l’article 31, paragraphe 2, en raison des procédures d’expulsion ; avec l’article 31, paragraphes 1 et 3, en raison du manque de logements permanents de qualité acceptable et en raison de l’absence d’informations permettant de démontrer que le droit au logement social est effectif dans la pratique et non-discriminatoire. Dans son évaluation du suivi, le Comité note que des progrès ont été réalisés au niveau local pour trouver des solutions de logement et des logements sociaux mais souligne également qu’il n’existe pas d’approche nationale cohérente et coordonnée en matière d’inclusion, ni de solutions pérennes, et que dans la pratiques les communautés roms et sintées sont toujours ségrégées. En outre, le Comité note l’absence de données sur les expulsions forcées, la disponibilité de recours juridiques et l’investissement de ressources suffisantes pour améliorer l’accès de ces communautés au logement social. Le Comité souligne que la plupart des mesures mentionnées dans le rapport sont en cours de mise en œuvre et estime que la situation n’a pas encore été totalement mise en conformité avec les dispositions de la Charte invoquées.   

Conclusion

Dans aucune des 46 décisions concernées dans les conclusions 2021, le Comité a noté que les violations en question avaient été totalement remédiées et, par conséquent, n’a clos la procédure de suivi dans aucune d’entre-elles. Dans plusieurs des réclamations collectives relatives au droit au logement, le Comité a noté que des progrès avaient été réalisés mais que la situation n’avait pas encore été mise totalement en conformité avec les dispositions de la Charte. Le Comité invite les États concernés à prendre les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les décisions. Il reconnait toutefois que certaines situations analysées sont complexes et nécessitent beaucoup de temps et de ressources pour les mettre en conformité avec la Charte. Concernant le droit au logement, un des problèmes complexes auxquels de nombreux États sont confrontés est le droit au logement des Roms, des Gens du voyage et d’autres communautés nomades. 

Le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) a également publié ses conclusions pour 2021 dans lesquelles il a analysé les dispositions de la Charte sociale européenne en matière de santé, de sécurité sociale et de protection sociale. Une analyse est disponible dans un autre article ici.

Autre article   

Comité européen des Droits sociaux : Conclusions 2021


[1] Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) c. Belgique, Réclamation n° 62/2010 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/-/asset_publisher/5GEFkJmH2bYG/content/no-62-2010-international-federation-of-human-rights-fidh-v-belgium?inheritRedirect=false

[2] Centre européen des droits des Roms c. Bulgarie, Réclamation N°  31/2005 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/-/asset_publisher/5GEFkJmH2bYG/content/no-31-2005-european-roma-rights-center-errc-v-bulgaria?inheritRedirect=false#:~:text=(ERRC)%20v.-,Bulgaria,the%20Revised%20European%20Social%20Charter.

[3] Médecins du Monde – International c. France, Réclamation n° 67/2011 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/-/asset_publisher/5GEFkJmH2bYG/content/no-67-2011-medecins-du-monde-international-v-france?inheritRedirect=false

[4] Comité européen d'action spécialisée pour l'enfant et la famille dans leur milieu de vie (EUROCEF) c. France, Réclamation n° 114/ 2015 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/-/asset_publisher/5GEFkJmH2bYG/content/no-114-2015-european-committee-for-home-based-priority-action-for-the-child-and-the-family-eurocef-v-france?inheritRedirect=false

[5] Forum européen des Roms et des Gens du Voyage (FERV) c. France, Réclamation n° 119/2015 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/-/asset_publisher/5GEFkJmH2bYG/content/no-119-2015-european-roma-and-travellers-forum-ertf-v-france?inheritRedirect=false

[6] Centre européen des Droits des Roms (ERRC) c. Grèce, Réclamation n° 15/2003 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/-/asset_publisher/5GEFkJmH2bYG/content/no-15-2003-european-roma-rights-centre-errc-v-greece?inheritRedirect=false#:~:text=The%20complaint%2C%20lodged%20on%204,in%20the%20field%20of%20housing.

[7] International Centre for the Legal Protection of Human Rights (INTERIGHTS) c. Grèce, Réclamation n° 49/2008 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/...

[8] Centre européen des Droits des Roms (CEDR) c. Irlande, Réclamation n° 100/2013 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/...

[9] Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) c. Irlande, Recommandation n° 110/2014 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/-/asset_publisher/5GEFkJmH2bYG/content/no-110-2014-international-federation-for-human-rights-fidh-v-irela-1?inheritRedirect=false

[10] Centre européen des Droits des Roms (CEDR) c. Portugal, Réclamation n° 61/2010 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/...

[11] Centre européen des Droits des Roms (CEDR) c. Italie, Réclamation n° 27/2004 https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/processed-complaints/...

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