Un référendum a eu lieu à Berlin visant les grands propriétaires fonciers.
Source : Le Monde, Manifestation contre les loyers élevés à Berlin, Allemagne, 11 septembre 2021. CHRISTIAN MANG / REUTERS
Le 26 septembre 2021, une majorité des habitants de Berlin (56,4 %) a voté " oui " à un référendum provisoire appelant les autorités de la ville à adopter une loi pour exproprier les principales sociétés immobilières privées de Berlin et les indemniser à un taux bien inférieur à la valeur du marché[1]. Les grands propriétaires visés sont plus précisément les sociétés qui possèdent plus de 3 000 unités de logement comme Vonovia (VNAn.DE) et Deutsche Wohnen (DWNG.DE). Selon "DW und Co. Enteignen" (Exproprier Deutsche Wohnen and Co.), organisateurs du référendum, l'objectif de cette mesure est de réduire les loyers à Berlin en aidant la ville à prendre le contrôle d'environ 240 000 appartements[2]. Bien que le référendum ne soit pas juridiquement contraignant, la campagne a obtenu 343 000 signatures, alors que 175 000 étaient nécessaires pour déclencher un référendum à l'échelle de la ville[3].
Pourquoi les grands propriétaires sont-ils visés ?
La concentration de logements à Berlin entre les mains de grands propriétaires a exacerbé la crise immobilière dans la capitale allemande. La société Heimstaden a par exemple annoncé le soir du référendum qu'elle venait d'acheter 14 000 nouveaux logements à Berlin. Vonovia, la plus grande société allemande de location de logements, a également annoncé récemment qu'elle avait atteint le seuil de 50 % nécessaire pour racheter son rival Deutsche Wohnen. La combinaison des deux sociétés créerait un empire du logement avec 550 000 appartements d'une valeur de plus de 80 milliards d'euros[4].
Pour des raisons historiques, la ville de Berlin est particulièrement touchée par la spéculation immobilière. Après la chute du mur de Berlin, la ville a vendu une partie de son parc immobilier à très bas prix à des fonds spéculatifs et à des sociétés d'investissement[5]. Leur stratégie consiste à acheter des logements à bas prix et à en extraire de la valeur par des augmentations de loyer et un faible entretien, avant de les revendre à d'autres acteurs financiers une fois que le marché s'est redressé. De plus, "la croissance de la ville a dépassé la construction de nouveaux appartements", ce qui entraîne une véritable pénurie de logements[6].
Cette financiarisation et cette rareté des logements ont conduit la ville à faire face à une augmentation spectaculaire des loyers au cours de la dernière décennie. En 2018, Berlin est devenue la ville où les prix de l'immobilier ont augmenté le plus rapidement au monde[7], et entre 2009 et 2019, les habitants de Berlin ont vu les loyers doubler[8]. Comme 80 à 85% d'entre eux sont des locataires[9], cette situation ne touche pas seulement les personnes à bas salaires mais la majorité de la population.
En quoi cette mesure peut-elle être importante pour l'accessibilité du logement ?
Nationaliser une partie du parc immobilier permettrait la mise en œuvre d'un contrôle des loyers par la ville de Berlin. La régulation du marché locatif par les autorités publiques est une condition pour garantir l'accès de tous à un logement abordable. Le contrôle des loyers est de plus en plus utilisé dans l'UE (sous différentes formes) et devient une mesure clé lorsque le marché immobilier ou le parc de logements sociaux ne sont pas en mesure de répondre aux besoins des ménages à faibles revenus et de la classe moyenne. Augmenter le contrôle des loyers à Berlin permettrait alors de protéger les locataires contre la flambée des prix et de réduire l'effet d'expulsions sur les ménages vulnérables. Ceci agirait comme une police d'assurance pour que les ménages berlinois ne perdent pas leur logement si leur situation économique change brusquement, et cela peut être un moyen de contenir les mouvements inflationnistes potentiels liés à la gentrification de certains quartiers de la ville[10]. Le logement étant un bien de première nécessité, il ne doit pas être soumis à la spéculation. C'est pourquoi la financiarisation du logement est de plus en plus dénoncée comme un obstacle à la réalisation du droit au logement[11]. À cet égard, le contrôle des loyers est un outil permettant de guarantir le respect du droit au logement. Plus encore, une telle mesure décentralisée au niveau de la ville de Berlin permettrait une meilleure mise en œuvre et une meilleure diffusion de l'information pour la défense des droits des habitants[12].
La proposition de loi sur l'expropriation se heurte à une opposition politique, mais le résultat du référendum pourrait conduire à de nouvelles avancées pour le droit au logement à Berlin.
L'expropriation des propriétaires se heurte à des obstacles juridiques et politiques. Premièrement, alors que les partis de la coalition sont divisés sur la question, la maire de Berlin, Franziska Giffey, a rejeté les expropriations, estimant que cela n'aiderait pas à résoudre la question du logement abordable[13]. Deuxièmement, il existe un débat juridique sur la question. Si une loi sur l'expropriation devait être acceptée, elle ferait sûrement l'objet de contestations juridiques. En septembre 2019, la Chambre des représentants de Berlin a déclaré que cette proposition était compatible avec la loi fondamentale allemande[14]. Cependant, en avril 2021, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a annulé la décision du gouvernement du Land de Berlin d'imposer un plafond de loyer de cinq ans dans la ville, la jugeant inconstitutionnelle [15].
Néanmoins, cette initiative a mis la pression sur la question et pourrait permettre de progresser en termes de défense du droit au logement à Berlin. Le fait que plus d'un million de personnes aient voté en faveur de cette initiative dans le cadre d'un référendum donne à la coopération internationale un avantage certain.
[4] Ibid 2.
[5] Ibid 3.
[6] Ibid 3.
[9] Ibid 3.
[10] Encadrement des loyers, C’est le moment d’agir pour les villes, Fondation Abbé Pierre, 2020.
[11] Sixth Overview of housing exclusion in Europe, Chapter 4: Legal developments, rent regulation in the EU, Fondation Abbé Pierre, FEANTSA, 2021.
[12] Ibid 10.
[13] Ibid 1.
[14] Ibid 1.
[15] Ibid 1.
[16] Ibid 2.