Le 25 mars 2021, le Deuxième Sénat de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Bundesverfassungsericht) a jugé que la loi prévoyant le plafonnement des loyers pour les locaux d’habitation à Berlin (Loi sur le plafonnement des loyers à Berlin) était incompatible avec la Constitution allemande et a par conséquent, anullé la loi.[1]
Avant d’analyser en détail ce jugement, il importe de mettre en exergue le contexte dans lequel cette loi a été élaborée : l’Allemagne est l’État membre de l’Union européenne avec le pourcentage le plus élevé de locataires au sein du secteur privé (55%), et Berlin possède un pourcentage encore plus élevé de locataires (environ 85% des Berlinois vivent dans des locations). Berlin a longtemps été une capitale relativement abordable mais, au cours de ces dernières années, les loyers ont grimpé en flèche : les loyers des nouveaux baux ont augmenté de 27 pour cent entre 2013 et 2019.[2]
Pour lutter contre cette situation, en 2015, le Gouvernement fédéral a introduit un frein à loyer (Mietpreisbremse).[3] La Loi modifiant la Loi relative à la location autorise la limitation des loyers pour les nouvelles locations situées dans les quartiers disposant d’un marché du logement tendu. Elle a modifié le paragraphe 556 ff. du Code civil allemand (BGB) qui stipule maintenant que dans ces quartiers, le loyer au début de la location ne peut excéder le loyer comparatif local de plus de 10%.
En outre, le 11 février 2020, le Gouvernement du Land de Berlin a adopté un mécanisme supplémentaire : la Loi sur le plafonnement des loyers à Berlin (Mietpreisdeckel). Cette loi interdit les loyers supérieurs au loyer net convenu le 18 juin 2019. Les hausses des loyers dans les baux existants sont dès lors exclues pour tous les baux locatifs privés. Toutefois, la loi prévoit une exception dans le cas des rénovations.
Quelques 284 députés du CDU/CSU et du FDP ont saisi la Cour constitutionnelle fédérale, estimant que la Loi sur le plafonnement des loyers à Berlin s’inscrit en porte-à-faux avec la distribution des compétences prévue par la Constitution allemande. La Constitution allemande (Art. 72) stipule que « dans le domaine de la compétence législative concurrente, les Länder ont le pouvoir de légiférer aussi longtemps et pour autant que la Fédération n’a pas fait par une loi usage de sa compétence législative. »
Dès lors, la question posée à la Bundesverfassungsericht concerne en fin de compte la question suivante : est-ce que le plafonnement des loyers est une mesure de droit civil et ainsi une compétence « concurrente » du niveau fédéral et du Länder (Art. 74§1,1 GG) et, le cas échéant, est-ce que le gouvernement fédéral a déjà utilisé cette compétence via le frein à loyers. Plus concrètement : est-ce que le plafonnement des loyers dans le cadre de la Loi de Berlin est exclu par le frein à loyers déjà inscrit dans le Code civil allemand (BGB).
En adoptant le plafonnement des loyers à Berlin, la Chambre des Représentants de Berlin a affirmé que depuis la Réforme du Fédéralisme constitutionnel de 2006 et la suppression de la compétence « Logement » de l’article Art. 74 du GG, la compétence relative au logement avait été transférée au Länder qui pouvait dès lors légiférer sur le logement, notamment au niveau des règlementations sur les loyers publics.
Toutefois, comme souligné par la Cour, la Loi sur le plafonnement des loyers ne s’appliquait pas aux logements publics comme les logements sociaux mais uniquement aux locations privées. Par conséquent, la Cour constitutionnelle, contrairement à l’évaluation de la Chambre des Représentants de Berlin, déclare que le plafonnement des loyers est une mesure de droit civil, inscrite dans l’article 74 du GG.
« Selon les thèses juridiques définies par les pratiques de l’État allemand et la tradition législative au cours des 150 dernières années, le droit civil englobe l’entièreté des règles qui sont traditionnellement classées dans le droit privé (…) Depuis l’entrée en vigueur du Code civil le 1er janvier 1900, la législation gouvernant les locations est inscrite dans le paragraphe 535 ff. du BGB et est, malgré de nombreux amendements, un aspect essentiel du droit civil. »
La Cour stipule que « dans le domaine de la compétence législative concurrente, les Länder ont le pouvoir de légiférer aussi longtemps et pour autant que la Fédération n’a pas fait par une loi usage de sa compétence législative. »
Dans le cas présent, le gouvernement fédéral avait déjà utilisé ses pouvoirs législatifs en inscrivant un frein à loyers dans le BGB. Selon la Cour de Karlsruhe, le plafonnement des loyers de Berlin règlemente essentiellement les mêmes situations que le frein à loyers mais intervient en outre davantage dans la liberté contractuelle des locataires et des propriétaires que la loi fédérale.
La cour stipule que : « En outre, le paragraphe 556 ff. du BGB n’englobe aucune condition pour de nouvelles législations, autorisant des clauses ou des dispositions qui permettraient aux Länder d’adopter leurs propres dispositions pour règlementer les loyers. »
et
« Étant donné que le législateur fédéral a exercé ses dispositions législatives concurrentes de façon décisive, au moins par rapport à la détermination du loyer maximum permissible pour les logements non-publics, les Länder ne peuvent adopter de législations à cet égard (Art. 72(1) GG).”
La Chambre des Représentants de Berlin ne possédait pas la compétence nécessaire pour adopter la Loi relative au plafonnement des loyers de Berlin.
Plusieurs commentaires ont estimé que ce jugement était conservateur, s’agissant notamment des conséquences pour les locataires et les propriétaires et son avis sur l’ordre constitutionnel des compétences.[4] Toutefois, le jugement ne révise pas complètement le plafonnement des loyers. Les politiciens allemands et les organisations de la société civile demandent maintenant un plafonnement des loyers au niveau fédéral. Il est impossible de prédire la façon dont la Cour constitutionnelle allemande évaluerait un plafonnement fédéral des loyers, dans la mesure où le présent jugement n’aborde que le niveau compétent pour adopter une telle législation.[5]
Les locataires concernés pourraient être confrontés à des obligations de paiement considérables. La Cour a annulé le plafonnement des loyers rétroactivement et les propriétaires peuvent dès lors demander des paiements depuis février 2020, date à laquelle le plafonnement des loyers est entré en vigueur jusqu’à la date du présent jugement.[6]
Le jugement est pour le moment disponible en allemand uniquement.
Le communiqué de presse est disponible en anglais.
[3] „Bundestag passes rent brake“: https://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2015/kw10_de_mietpreisbrem...