Papachela et Amazon S.A. c. Greece (Requête no. 12929/18) [03.12.2020]

Langue : Français

Date de la décision : 3 décembre 2020

Pays: Grèce

Juridiction : Cour Européenne des Droits de l’Homme

Base légale: Article 1 du Protocol No. 1 (protection de la propriété), Convention européenne des droits de l’homme

Sujet Inaction de l’État face au squat d’un hôtel par des migrants: violation du droit de propriété garanti par la Convention

 

L’affaire concerne l’occupation d’un hôtel à Athènes par des migrants et des personnes solidaires de ceux-ci pendant plus de trois ans, ainsi que l’impossibilité des requérantes d’obtenir le concours des autorités pour les faire évincer.

Cet hôtel appartient à Madame Papachela, ressortissante grecque. Elle a elle-même constaté le squat des réfugiés en avril 2016, alors que son établissement était inoccupé depuis 6 ans. Après avoir porté plainte à plusieurs reprises, et alors qu’aucune action n’avait été entrepris pour faire évacuer l’hôtel, le procureur ordonna une enquête préliminaire.

Par ailleurs, les « solidaires », qui occupaient aussi l’hôtel, ont reconnecté illégalement l’eau et l’électricité. Malgré les plaintes de Madame Papachela envoyées aux compagnies nationales concernées, elle fut sommée de payer 141 990 EUR en février 2018, afin de rembourser la facture d’eau et d’électricité.

En juillet 2017, le juge de la paix ordonna au « réseau pour les droits civils et politiques » de restituer l’hôtel. Par ailleurs, il reconnut l’inaction des policiers et de l’Etat, en dépit des demandes de la requérante déposées en avril et juin 2016.

La décision du juge de la paix fut notifiée au commissariat d’Aghios Panteleimonas en aout 2017, demandant l’intervention de la police afin de faire évacuer l’hôtel. Cependant, malgré plusieurs relances, aucune évacuation du lieu n’a été entreprise. 

En janvier 2018, Madame Papachela reçut un avis de confiscation de sa maison personnelle, en raison de dettes dues à l’occupation de son hôtel.  Elle dû vendre sa maison.

Les requérantes saisirent le Conseil juridique de l’Etat, mais aucune suite ne fut donnée à leur demande.

Finalement, l’occupation des lieux s’acheva en juillet 2019 lorque les occupants quittèrent l’hôtel de leur propre chef.

Une requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 9 mars 2018. Les requérantes invoquent la violation de l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention. Plus particulièrement, elles demandent dommages pour l’occupation illégale de l’hôtel ainsi que l’inaction de l’Etat grec et le refus des autorités de les dédommager.

 

Appréciation de la Cour

55. La Cour observe que l’omission des autorités de prendre des mesures pour évacuer l’hôtel des requérantes de ses occupants illégaux, alors même que un ordre d’évacuation fut émis par le procureur […], a eu pour conséquence le blocage du bien de celles-ci pendant plusieurs années sans qu’il soit possible pour elles de l’exploiter de quelque façon que ce soit ainsi que l’alourdissement des charges financières le concernant suite à une accumulation importante des frais de consommation énergétique du bâtiment.

57.  En l’espèce, la Cour note que le Gouvernement justifie l’inaction des autorités par des raisons d’ordre public, notamment le souci de pallier le risque de troubles à l’ordre public lié à l’expulsion des dizaines de personnes et à l’évacuation d’un bâtiment dont l’occupation s’inscrivait dans le cadre d’une action militante, ainsi que par des motivations d’ordre social, surtout l’absence, pendant une période où les flux migratoires avaient atteint leur pic, de solutions de relogement des migrants qui s’y trouvés.

58.  La Cour reconnait que les craintes suscitées par les motivations susmentionnées pouvaient justifier dans une certaine mesure des hésitations de procéder à une libération rapide et brutale des lieux. Cela ne saurait cependant justifier une telle inaction totale et prolongée des autorités

63.  Compte tenu des intérêts des requérantes, les autorités auraient dû, après un laps de temps raisonnable consacré à la recherche d’une solution satisfaisante, prendre les mesures nécessaires au respect de la propriété litigieuse. En restant inactives pendant plus de trois ans face à une situation qui a eu répercussions importantes sur la propriété des requérantes, les autorités nationales ont rompu le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.

Ainsi, en reconnaissant que la Grèce a manqué à ses obligations, la cour affirme la violation de l’article 1 du Protocole no 1.

 

Dommage matériel 

La Cour demande à la Grèce d’allouer aux requérantes 300 000 EUR pour perte de chances ainsi que 2500 EUR pour frais et dépens.

Par ailleurs, la Cour estime que la Grèce doit verser à Madame Papachela 10 000 EUR, pour dommage moral.

 

Dans cet arrêt, Il est regrettable que les droits fondamentaux des migrants, qui se sont retrouvés sans-abris, ne soient pas davantage évoqués. En effet, selon la Cour « les autorités auraient dû, après un laps de temps raisonnable consacré à la recherche d’une solution satisfaisante, prendre les mesures nécessaires au respect de la propriété litigieuse ». Comme le souligne justement Laurens Lavrysen, la Cour suggère que l'expulsion dans un délai raisonnable est la seule option conforme à la Convention, indépendamment de l'évaluation de la question de savoir si l'accès à un autre logement est garanti.

French
Jurisdiction: 
Conseil de l'Europe - Cour Européenne des Droits de l'Homme
Article 1 Protocole 1 - Protection de la propriété
Subject: 
Expulsions
Squats et bidonvilles
Country: 

Fonds

Subscribe to receive e-mails from us