Hakima El Goumari and Ahmed Tidli (Communication No. 85/2018) [18 February 2021]

Hakima El Goumari et Ahmed Tidli (Communication n° 85/2018) [18 février 2021]

 

Langue : anglais

Date de la décision : 18 février 2021

Pays : Espagne

Juridiction : Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Base juridique : Article 11 (1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Objet :  Expulsion des requérants de leur logement – Droit au logement adéquat

 

Les requérants ont saisi le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR) se plaignant que l’Espagne avait violé leurs droits et les droits de leurs enfants en vertu de l’article 11 (1) du Pacte, en procédant à l’expulsion de leur famille de leur appartement locatif et en les plaçant dans des centres d’hébergements sans leur proposer de solution adéquate de logement pérenne.  

Mme El Goumari et M. Tidli et leurs quatre enfants, dont deux présentant des handicaps avérés, vivaient dans un appartement avec un loyer de 480 euros par mois. Lorsque M. a perdu son emploi, les requérants ont été contraints d’arrêter de payer leur loyer. En janvier 2018, un Tribunal de première instance de Madrid a prononcé la résiliation du contrat de bail pour défaut de paiement du loyer et a condamné les requérants à quitter le logement. Les requérants ont demandé la suspension de l’expulsion, mais en mars 2018, les autorités ont procédé à plusieurs tentatives d’expulsion et, en avril, la famille a enfin été expulsée. Les requérants ont ensuite été relogés dans un hébergement d’urgence de la municipalité dans lequel ils sont restés pendant 10 jours avant d’être envoyés dans un foyer d’hébergement dans lequel ils ont séjourné pendant plus de six mois. Les requérants ont affirmé que cet hébergement était très précaire, surpeuplé et infesté de cafards et de punaises de lit, et que les matelas étaient en très mauvais état.

En octobre 2018, alors qu’elle était enceinte de sept mois, Mme El Goumari a fait une hausse couche.

Par la suite, la famille a été relogée dans un hôtel de la municipalité et ensuite dans un autre centre d’hébergement. Lorsque la durée de séjour autorisée a été dépassée, on leur a proposé une place au centre de service social municipal mais les requérants ont refusé cette proposition en raison des conditions de surpeuplement. Ils ont trouvé un appartement dans un bidonville qu’ils louent pour 300 euros par mois, avec uniquement un contrat de location oral. En raison de leur situation précaire, la famille n’a droit à aucune aide sociale.

 

Observations de l’État

L’État partie affirme que les services publics répondent aux besoins fondamentaux de la famille, étant donné que les requérants ont gratuitement accès au système de santé et à l’enseignement. L’État espagnol affirme que « le droit au logement n’est pas un droit absolu et que les autorités ne sont pas tenues de fournir à chacun un logement si les ressources publiques ne le permettent pas ». En outre, l’État espagnol affirme que faits tels qu’ils ont été établis prouvent qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 (par. 1) du Pacte, étant donné que les services sociaux ont été informés de toutes les dates d’expulsion prévues et que les autorités compétentes évaluaient régulièrement les besoins de la famille depuis 2003 et que les organismes publics se sont efforcés de trouver un logement de remplacement et un travail pour M. Tidli.

 

Commentaires des requérants

Les requérants affirment qu’après leurs expulsions, l’État les avaient laissés dans un état d’incertitude totale. Par ailleurs, le Tribunal de première instance de Madrid n’avait pas procédé à un examen de la proportionnalité. L’hébergement qu’ils avaient reçu n’était pas convenable, surtout pour une famille avec quatre enfants, dont une femme enceinte et deux enfants handicapés.

 

Examen de la recevabilité

Le Comité affirme que la communication est recevable car la défense des requérants selon laquelle l’État partie a enfreint leur droit à un logement décent et convenable respectait les critères d’une violation potentielle d’un droit établi dans le Pacte.

 

Bien-fondé

Concernant le bien-fondé de l’affaire, le Comité confirme que le Tribunal de Madrid n’avait pas procédé un examen de la proportionnalité de l’expulsion par rapport aux droits des requérants. Pour évaluer si « l’expulsion des requérants et de leurs enfants de leur logement habituel et leur déménagement dans divers hébergements de substitution temporaires constituent une violation du droit à un logement convenable énoncé à l’article 11 (par. 1) du Pacte », le Comité a rappelé sa jurisprudence.

Concernant la protection contre les expulsions forcées, le Comité a rappelé que expulsions forcées étaient contraires aux dispositions du Pacte et ne pouvaient être justifiées que dans les situations les plus exceptionnelles : la limitation doit être prévue par la loi, elle doit favoriser le bien-être général dans une société démocratique, elle doit être proportionnée au but légitime invoqué et être nécessaire. La possibilité de disposer d’un logement de remplacement convenable, la situation personnelle des occupants et de leurs personnes à charge, et leur coopération avec les autorités dans la recherche d’une solution qui leur soit adaptée constituent également des facteurs décisifs dans cet examen.

Selon le Comité, le Tribunal de Madrid n’avait pas procédé à un examen de la proportionnalité de l’expulsion au regard de l’objectif légitime de l’expulsion et des conséquences de l’expulsion sur les personnes visées.

En outre, l’alternative de logement proposée par l’État espagnol ne peut pas être considérée comme une alternative adéquate.

 

 Principales conclusions de la Cour

9.3. Le logement de remplacement doit être convenable. Le caractère convenable du logement dépend en partie de facteurs sociaux, économiques, culturels, climatiques, écologiques et autres, mais le Comité est d’avis qu’en tout état de cause, il est possible de recenser certains aspects du droit au logement qui doivent être pris en considération à cette fin dans n’importe quel contexte. Parmi ces aspects, on peut citer : la sécurité légale de l’occupation, l’existence de services, matériaux, équipements et infrastructures, la capacité de paiement, l’habitabilité, la facilité d’accès, l’emplacement qui doit permettre l’accès aux services sociaux (éducation, emploi, soins de santé), et le respect du milieu culturel, de manière à permettre l’expression de l’identité culturelle et de la diversité.

10.3 Bien que les requérants aient affirmé que la mesure d’expulsion compromettrait la réalisation de leur droit à un logement convenable, cela n’a pas incité le tribunal à examiner la proportionnalité de la mesure au regard de l’objectif légitime de l’expulsion et des conséquences de celle-ci sur les personnes visées. À aucun moment le tribunal n’a évalué la vulnérabilité des requérants et, en particulier, de leurs enfants mineurs, alors même que les requérants lui avaient demandé de le faire et qu’il avait reçu un rapport des services sociaux en ce sens. Si l’expulsion a été reportée à deux reprises, ces reports n’étaient pas dus à une décision des autorités judiciaires, mais à des faits survenus le jour de l’expulsion et qui ont rendu son exécution impossible. Qui plus est, la législation de l’État partie ne prévoit pas d’autre mécanisme judiciaire qui aurait permis aux requérants de contester l’ordonnance d’expulsion, de sorte qu’aucune autre autorité judiciaire n’a pu évaluer ni la proportionnalité de l’expulsion, ni les conditions dans lesquelles elle allait être exécutée. Par conséquent, le Comité considère que ce défaut d’examen a constitué une violation, par l’État partie, du droit des requérants à un logement, droit énoncé à l’article 11 du Pacte lu conjointement avec l’article 2 (par. 1).

 11.1  (…) Le Comité constate que les solutions proposées ne sauraient être considérées comme des logements de remplacement étant donné qu’il s’agissait d’hôtels et de foyers d’hébergement temporaire. (…)

11.5 Enfin, le Comité estime qu’au-delà des mesures générales qu’il a mentionnées, l’État partie n’a pas démontré qu’il avait tenu compte des circonstances particulières de l’affaire et qu’il avait agi au maximum de ses ressources disponibles et pris toutes les mesures raisonnables. Pour cette raison, et étant donné que la situation est le fruit d’une expulsion exécutée en violation des dispositions du Pacte, le Comité estime que les logements de remplacement temporaires qui ont été proposés aux requérants et à leurs enfants, les conditions dans lesquelles ils ont dû vivre et le logement qu’ils occupent actuellement constituent une violation de leur droit au logement, énoncé à l’article 11 du Pacte.

Pour l’intégralité de la décision, cliquez ici.

 

French
Jurisdiction: 
Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels
Subject: 
Expulsions
Qualité du logement
Country: 

Fonds

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