Les dernières mesures sur le logement social en Espagne. La location sociale en Catalogne

Sonia Lacalle Álvarez, Càritas Barcelona

Sonia Olea Ferreras, Cáritas Española

 

1. Introduction:

Le vendredi 7 février, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la pauvreté extrême et les droits de l’homme a présenté le rapport préliminaire relatif à sa visite en Espagne, lors d’une conférence de presse à Madrid. Il a présenté les données de la FOESSA qui indiquent que 24% de la population espagnole est confrontée au mal-logement et que 4,6 millions de personnes vivent dans des logements inadéquats (typologie ETHOS)[1]. Il a également ajouté que l’accessibilité financière du marché locatif privé se classait parmi les plus bas de l’OCDE et que le logement social était quasi-inexistant (représentant seulement 2,5% du parc). Il a confirmé la crise de l’accès au logement, un des principaux droits humains, dans le pays, que l’Espagne tente de combattre depuis plusieurs années, et a souligné l’urgence de développer des politiques publiques pertinentes.  

 

2. Les mesures de logement au niveau national

La dernière réforme nationale qui a été adoptée au niveau national était le Décret royal 7/2019 du 1er mars sur les mesures urgentes sur le logement et les locations. Parmi les nombreuses raisons qui ont mené au développement de cette réforme urgente, le Décret royal énonce : l’insuffisance des options de logement social, qui ne représentent que 2,5% des logements en Espagne. Ce chiffre contraste avec les 15% que l’on retrouve dans les autres grands pays européens comme la France, le Royaume-Uni, la Suède, les Pays-Bas, l’Autriche ou le Danemark. Ceci s’explique notamment par l’orientation presque exclusive des politiques publiques vers les modèles de « logement protégé »[2] qui se basent sur une forme de propriété depuis plusieurs décennies. Dans ce contexte, il est urgent d’inverser cette dynamique et de faire tomber certains obstacles règlementaires et financiers qui compliquent le développement du logement social pour les différentes administrations publiques. L’objectif est de fournir à l’ensemble de la société un instrument qui respecte le droit constitutionnel au logement, surtout essentiel pour les personnes et ménages qui ne peuvent accéder au marché du logement à cause d’un manque de ressources économiques.

En résumé :

  • La part du logement social en Espagne est infime, ne représentant que 2,5% des logements.
  • Les politiques publiques sur le logement en Espagne sont orientées vers l’accès à la propriété.
  • Il existe des obstacles règlementaires et financiers qui affectent le développement des locations sociales.
  • Il est essentiel de respecter le droit constitutionnel au logement.
  • Ceci est surtout vrai pour les personnes et ménages qui se retrouvent dans des situations économiques vulnérables.

 

Pour ce faire, la loi prévoit les mesures suivantes en matière de logement social dans sa première Disposition supplémentaire :  

  1. La mobilisation de terrains publics appartenant à l’Administration générale de l’État et de ses organes dépendants, afin de promouvoir le logement social ou abordable, via une collaboration public-privé.
  2. La modification des instruments financiers du Programme national de logement en vue de promouvoir des mécanismes public-privés afin de répondre à la demande de logements sociaux, notamment via la cession du droit d’utilisation des terrains publics.
  3. Une réorientation du Programme national de logement, qui doit soutenir exclusivement l’utilisation des locations.
  4. Des accords avec les administrations compétentes en vue d’accélérer les permis d’urbanisme, en accordant la priorité à l’utilisation des subventions du Programme national de logement pour les personnes qui ont obtenu ces types d’accords.

Ce Décret royal a fait l’objet d’un appel devant la Cour constitutionnelle de la part du Groupe parlementaire populaire quelques semaines avant son entrée en vigueur ; il y a quelques jours, la décision[3] a été publiée et a estimé que deux des dispositions étaient inconstitutionnelles, notamment la disposition sur les mesures relatives au logement social sur les terrains publics mentionnée ci-dessus (première Disposition supplémentaire).  

À l’heure actuelle, aucune de ces dispositions n’est mise en œuvre au niveau juridique ou administratif. De plus, elles ont été annulées par mandat constitutionnel.

3. La location sociale en Catalogne

La gravité de la crise du logement et l’absence de réponse dynamique des pouvoirs publics ont engendré une montée des mouvements sociaux, unis pour la défense du droit au logement. Visant à trouver une solution à l’urgence du logement, la société civile a utilisé une Initiative législative populaire qui a été signée par 150.000 personnes afin de proposer une loi au Parlement de la Catalogne en 2015 intitulée « Loi 24/2015 du 29 juillet sur les mesures urgentes pour lutter contre la crise du logement et de la pauvreté énergétique », qui a été approuvée à l’unanimité par le Parlement catalan.

La loi 24/2015 présente différentes mesures pour éviter les expulsions qui peuvent engendrer une perte de logement pour des personnes qui sont menacées de sans-abrisme.

Pour la première fois, le concept de « grands propriétaires » est mentionné dans un règlement légal, et défini comme des entités financières, des sociétés immobilières, des fonds d’investissement et des particuliers qui possèdent plus de 1.250 mètres carrés de terrain habitable. En outre, la loi oblige ces grands propriétaires à proposer des locations sociales à des personnes et familles qui n’ont pas d’autres alternatives de logement dans certains cas de perte de logement dans lesquels les logements sont grevés d’une hypothèque. Dans ce cas, le loyer ne peut dépasser plus de 10%, 12% ou 18% des revenus de la famille concernée.

Malgré l’entrée en vigueur de cette loi, le nombre d’expulsions forcées en Catalogne n’a pas diminué. Les sociétés civiles de placement immobilier sont des protagonistes directs de l’affaiblissement du droit humain à l’accès au logement adéquat ; il s’agit de grandes sociétés anonymes qui attaquent directement les droits des locataires, commercialisent le logement et le traitent comme un bien d’investissement. Elles sont en partie responsables de la crise immobilière mondiale, qui est actuellement le plus grand secteur économique du monde, selon le « Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard » du 22 mars 2019.[4]

La dernière mesure prise pour résoudre les problèmes relatifs à la perte de logement en catalogne était l’adoption par le Parlement catalan du Décret 17/2019 sur les mesures urgentes pour améliorer l’accès au logement, utilisant sa compétence exclusive sur le logement. Ce décret renforce, redéfinit et élargit les instruments juridiques de la précédente Loi 24/2015 sur l’urgence du logement afin de garantir l’accès au logement pour les personnes menacées de sans-abrisme qui vivent dans des hébergements appartenant à de « grands propriétaires ».

L’urgence des mesures mentionnées dans le Décret reflète le contexte dans lequel il existe : l’extrême difficulté à laquelle est confrontée une partie importante de la population pour accéder à des logements dignes et adéquats.

Dès lors, la loi élargit le concept des « grands propriétaires » aux précédents propriétaires d’au moins 15 biens immobiliers et l’étend aux particuliers. En outre, elle élargit l’obligation des « grands propriétaires » de proposer des locations sociales aux locataires dont le bail expire, ainsi qu’aux locataires menacés de sans-abrisme car ils ne font pas l’objet de contrats adéquats.

Ceci est sans aucun doute une proposition imaginative pour tenter de résoudre le problème de l’accès au logement dans une Communauté autonome où les logements sociaux ne représentent que 1,5% et qui essaie de proposer des solutions aux particuliers et familles qui perdent leurs logements et qui sont menacés de sans-abrisme.

Il s’agit d’un grand pas en avant en termes de définition des « grands propriétaires » ainsi qu’au niveau des obligations imposées à un des plus grands acteurs de la crise mondiale du logement, à savoir les grands propriétaires qui incluent les sociétés civiles de placement immobilier, qui permettent à des millionnaires de faire du profit grâce aux difficultés économiques de personnes vulnérables.

 

Barcelone et Madrid, 13 février 2020

 

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